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François Mitterand et Sarkozy : une position identique vis à vis de la guerre d'Algérie

La France peine à regarder son histoire

Après le Vél d’Hiv’, la France, par la voix de François Hollande puis du Sénat, a reconnu sa responsabilité dans le massacre du 17 octobre 1961. Un débat bref mais tendu a suivi cette décision, montrant combien il est difficile aujourd’hui encore de regarder sereinement l’histoire de notre pays.

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Un bouquet sur le pont Saint-Michel à Paris, lors de la commémoration du 17 octobre 1961 en 2011. REUTERS/Pascal Rossignol.

- Un bouquet sur le pont Saint-Michel à Paris, lors de la commémoration du 17 octobre 1961 en 2011. REUTERS/Pascal Rossignol. -

En dénonçant la «sanglante répression» du 17 octobre 1961et en rendant «hommage à la mémoire des victimes»,François Hollande, suivi six jours plus tard par le Sénat, a fait son devoir, tout comme Jacques Chirac avait fait le sienen admettant la responsabilité de la France dans la rafle du Vél d'Hiv. A contrario, le silence de Nicolas Sarkozy et, plus grave, les atermoiements de François Mitterrand ont montré la difficulté qu’a la France à regarder son histoire récente, qu’il s’agisse du régime de Vichy ou de la guerre d’Algérie.

François Mitterrand, décoré de la francisque par Pétain, plusieurs fois ministre sous la IVème République [1], fut un acteur direct de ces deux périodes de l’histoire française. Sans doute est-ce pour cela qu’il lui fut impossible de demander pardon ou de reconnaître une responsabilité.

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Il choisit curieusement d'amnistier les généraux putschistes, de fleurir —longtemps— la tombe de Pétain et conserva intacte son amitié à René Bousquet. Mettant fin à une coupable ambiguïté, son successeur Jacques Chirac prit l’initiative, digne et nécessaire, de regarder en face le passé de la France. Il le fit au Vél d’Hiv’ avec émotion.

Mais probablement parce qu’il avait servi en Algérie et fut partisan de l’Algérie française, Jacques Chirac s’en tint à Vichy. Au Vél d’Hiv’, il parlait de la génération d’avant la sienne, celle de ses parents. Il revenait donc à ses successeurs, nés au milieu des années 50, de parler d’une guerre qu’ils n’avaient «connue» qu’enfants. Nicolas Sarkozy ne le fit pas, se contentant aux Glières de rendre hommage à la Résistance, évoquant maladroitement la figure —pour le moins trouble— de Guy Môquet.

Dans un communiqué sobre, l’actuel président de la République a franchi un pas important en admettant la responsabilité de la France dans la tuerie du 17 octobre 1961 —un an avant, au lendemain de sa victoire lors de la primaire socialiste, son premier geste avait déjà étéde rendre hommage au pont de Clichy aux morts du 17 octobre. Deux mois après son élection, il s’était aussi placé dans les pas de Jacques Chirac dans un discours prononcé lors du 70ème anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv.

Ces gestes politiques sont importants, mais il reste donc beaucoup à faire et... à ne pas faire.

La France pourrait commencer par perdre le goût des lois mémorielles. Ces lois ne rendent service à personne, surtout pas aux historiens dont elle contraignent le travail. La loi Gayssot n’empêche nullement les propos négationnistes ou antisémites, Twitter vient de le démontrer d’éclatante manière. La loi sur le rôle «positif» du colonialisme a été largement remaniée, celle sur le génocide arméniena été retoquée par le Conseil constitutionnel.

Loi parfaitement extravagante du reste: la réalité du génocide est depuis longtemps établie mais la France pouvait-elle espérer contraindre les Turcs qui la nient à l’admettre? Hélas, François Hollande s’est engagé à reprendre le texte censuré.

De telles lois sont inutiles, et sans doute contreproductives. La France doit regarder en face son histoire et laisser les historiens travailler. Laissons-leur le soin d’établir les faits. Aux politiques revient, ce n’est pas rien, l’organisation d’une part du travail de mémoire.

Qui connaît la rue Lauriston?

A ce titre, la France a beaucoup à apprendre de... l’Allemagne. Quiconque se balade à Berlin ne pourra que constater l’important travail muséographique qui y est accompli.

Outre un impressionnant Mémorial de l’Holocauste, les cicatrices historiques y sont à ciel ouvert, qu’il s’agisse de l’ancien siège de la Gestapo (abritant le centre de documentation «La topographie de la terreur») ou des vestiges du Mur de Berlin. A deux pas de la Porte de Brandebourg, le palais du Reichstag abrite le Bundestag sous une coupole de verre, où l’on peut se promener. Comme si l’Allemagne tenait à montrer en toute transparence sa conversion à la démocratie.

La France a une mémoire plus sélective. Nul ne peut ignorer le génocide juif, qu’attestent les nombreuses plaques commémoratives au frontispice des écoles. Le mémorial de la Shoah est désormais présent à Drancy, mais le Jardin du souvenir du Vél d’Hiv est bien modeste. Et nul ne connaît le 93 rue Lauriston, siège de la Gestapo française, qui y exécuta et tortura avec sauvagerie, aujourd’hui un simple immeuble. En juillet, un sondage indiquait que 60% des 18-24 ans «n’ont jamais entendu parler» du Vél d’Hiv’...

Non seulement la République a fait lentement son nécessaire travail de mémoire, mais la tentation est grande pour les politiques d’instrumentaliser l’histoire à leur profit. Heureusement abandonné, le projet de Nicolas Sarkozy d’une Maison de l’histoire de France présentait un «caractère idéologiquement douteux», dénoncé par Pierre Nora et d’autres historiens.

A Montpellier, gêne, rires ou colère ont salué l’initiative de Georges Frêche, organisant le déplorable voisinage de Gandhi avec Mao, celui de Jaurès ou de Gaulle avec Lénine, tous indifféremment qualifiés de«grands hommes». Comment ces statues qui honorent deux des plus monstrueux tyrans du siècle passé peuvent-elles encore être debout? Et, de même, ne faudrait-il pas que disparaissent enfin des noms de rues qui font honte à la patrie des droits de l’homme: il y a encore des rues Lénine en France...

Ainsi, en 2012, notre pays ne parvient toujours pas à poser un regard lucide et apaisé sur l’histoire. Les hésitations liées à l’hommage à Jules Ferry de ce début de quinquennat montrent la tentation permanente, qui n’est pas propre aux seuls élus, d’instrumentaliser l’histoire au profit de combats contemporains. Démonstration par l’absurde avec la proposition de Najat Vallaud-Belkacem d’«outer» les personnages historiques ou auteurs.

Démonstration tout aussi absurde avec la mise à mal de la Mission du Centenaire de la guerre de 1914-18 «dont le seul tort est d'avoir été créée en avril dernier, sous l'ancien régime», persifle Jean-Dominique Merchet, journaliste à Marianne. Qui explique qu’afin de satisfaire un ministre, il a été décidé «d'associer à la hussarde deux commémorations», celle du centenaire de la Grande guerre et... des soixante-dix ans de la Libération. Mieux eût valu se pencher, sereinement, sur la question des mutins de 1917, qui avait déclenché une tempête politique sous le gouvernement Jospin.

En Algérie, tout le monde a du sang sur les mains

Il n’y a donc pas à s’étonner que les déclarations de François Hollande aient suscité un mini-débat politique, à la fois futile et révélateur: la France a du mal à regarder en face ce qu’elle appela «des évènements». Car, dans la guerre d’Algérie (1954-1962), tout le monde a du sang sur les mains. Les différents gouvernements ont en effet enchaîné négociations et vagues de répression avec constance[2].

Cinquante ans après les accords d’Evian, la blessure peine à cicatriser. Raison de plus pour espérer que le sujet soit exempt d’arrières-pensées politiciennes.

Malheureusement, entre la dénonciation des «nostalgiques de l’Algérie française» ou le refus de toute mise en cause de «la police républicaine et avec elle la République tout entière», les réactions ont été plutôt caricaturales. S’il revient au politique de reconnaître que l’Etat a failli, le citoyen mérite également un débat digne et éclairé. Oubliant les anathèmes, il s’en remettra aux historiens pour établir et rappeler les faits.

Ce n’est évidemment pas trahir la mémoire du général de Gaulle que de rappeler que sa politique algérienne fut parfois hésitante. Le 17 octobre ne l’empêcha nullement de conduire résolument la France et l’Algérie vers les accords d’Evian. Et son silence ne valut pas adhésion,estime Gilles Manceron:

«Le général de Gaulle [...] de toute évidence a pourtant été très irrité par cet épisode. Il a néanmoins voulu tirer le rideau sur cette affaire et fait en sorte que les Français passent à autre chose.»

L’histoire n’est jamais linéaire. Non seulement l’image du général de Gaulle ne sera pas altérée par les déclarations de François Hollande mais elle pourrait s’en trouver grandie, pour peu que l’on mette en perspective les difficultés dans lesquelles il se trouvait alors: des négociations en cours, un Premier ministre, Michel Debré, hostile à l’indépendance, des attentats incessants...  Le 17 octobre 1961 n’était pas une «ratonnade» sortie de nulle part.

Vient ensuite la question de la réciprocité, tout aussi pertinente. Pourquoi la France ferait-elle acte de «repentance» si l’Algérie s’y refuse? Car le FLN a tué férocement, aveuglément. Des colons, mais aussi des Algériens, dans ses propres rangs ou au sein du Mouvement national algérien.

Et, après les accords d’Evian, d’autres massacres ont eu lieu. Des douleurs, des amertumes subsistent, en France également. Mais ce travail d’histoire et de mémoire, l’Algérie doit le faire elle-même. Et ce n’est pas à la France de l’exiger, car la réciprocité, ici, n’a pas de sens.

De même, il est évidemment souhaitable que la Turquie fasse son devoir de mémoire sur le génocide arménien et permette à ses historiens (et aux autres) de l’étudier sereinement. C’est à chaque peuple qu’il appartient d’accomplir ce double travail d’histoire et de mémoire.

Reconnaître une responsabilité, une culpabilité, comme la France vient de le faire, ce n’est pas se salir mais se grandir. Aussi, lorsque la presse algérienne «attend plus», a-t-on envie de lui dire: «Chiche!»

Jean-Marc Proust

[1] Il fut notamment ministre de la Justice de Guy Mollet, dans une période où la guillotine frappa souvent. Revenir à l'article

[2] Jusqu’au Parti communiste qui, avant d’être un opposant farouche, vota en 1956 les pouvoirs spéciaux au gouvernement de Guy Mollet par pure considération tactique (voir l'Histoire de la guerre d’Algérie de Bernard Droz et Evelyne Lever, Seuil). Revenir à l'article

 

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