17 novembre 2014
FRANCE-ALGÉRIE-iTALIE : l'AFFAIRE MATTEI.
la face cachée de la politique coloniale de la France
Harkis et Pieds noirs , les victimes de la France coloniale
Mais les assassinats ne pouvaient pas modifier le cours de la guerre. Les arabes recevaient des Soviets tous les secours en armes et en munitions dont ils avaient besoin, et la France était seule. Les Français étaient fatigués du conflit et décidés d'en terminer. De Gaulle, qui s'était engagé à garder l'Algérie française, changea complètement sa positionet décida d'abandonner l'Algérie sans même essayer d'obtenir la moindre garantie pour les Français qui y avaient vécu plus d'un siècle. Quand on demande à plus d'un million d'individus d'abandonner leur maison, leur terre et leurs biens sans leur donner la moindre compensation, quand on leur dit de quitter tout ce qu'eux-mêmes et de nombreuses générations avant eux ont construit, ils se révoltent. Une partie de l'arée les soutint. Mais la révolte des généraux échoua, ce qui amena les officiers et leurs partisans à se regrouper en réseaux clandestins pour combattre non seulement les nationalistes algériens, mais aussi les Français qui sympathisaient avec eux. Des excès inexcusables furent alors commis.
Entretemps, le gouvernement de De Gaulle craignait d'être renversé. Foccart et le Ministre de l'intérieur, Roger Frey, eurent, en septembre 1961, une longue entrevue au palais de l'Elysée. Ils s'y mirent d'accord pour créer en Algérie des groupes de choc chargés de combattre les adversaires de la politique gaulliste et de l'indépendance. Au cours de leur conversation,Foccart signala au ministre de l'Intérieur que les officiers de "l'Action " pourraient très bien refuser d'obéir à l'ordre de se battre contre leurs camarades officiers.
On décida donc une purge, et seuls les Gaullistes inconditionnels furent maintenus dans " Action" . ce groupe d'irréductibles fut chargé d'encadrer des réservistes de "l'Action " et de nouvelles recrues qu'on transformait rapidement en terroristes.
Afin de ne pas se compromettre personnellement, Foccardt et Frey décidèrent de confier l'organisation à Dominique Pontchardier, qui avait toute leur confiance. Pontchardier, officier de marine pendant la guerre, avait combattu courageusement en Indochine avec la division Leclerc. Il y organisa des équipes de commandos vietnamiens qui acquirent une solide réputation de cruauté. Après la guerre, il se fit un nom dans la littérature populaire en publiant des histoires d'espionnage qui eurent beaucoup de succès.
Quelques jours après son entrevue avec Foccart, Roger Frey invita chez lui Dominique Pontchardier et sa femme. Étaient également présents Pierre Lemarchand et sa femme, amis personnels des Pontchardier, ainsi que la secrétaire de Frey, Mme Huguette Renaud.
Mme Pontchardier, qui avait eu avec Foccart un long échange de vues, signala au ministre de l'Intérieur qu'il était toujours en contact avec un groupe de vietnamiens habitués à exécuter les ordres donnés, quels qu'ils soient. Mais cela était insuffisant, et même en comptant les vietnamiens et les officiers de "l'Action " du SDECE, il fallait au moins deux cents hommes de plus. Lemarchand était avocat et sa clientèle était constituée principalement de membres du " milieu". Il offrit de recruter des "volontaires" parmi ses clients.
Mais Pontcahrdier fut chargé d'assurer la liaison avec Jacques Foccart et le SDECE sous le pseudonyme de Madame Rolin, tandis que Mme Lemarchand s'occuperait de l'administration de la partie financière de l'opération, et ferait la liaison avec le ministre de l'intérieur. Le ministre étant très occupé, Mme Renaud, sa secrétaire, reçut la consigne de faciliter les chose pour Mme Lemarchand.
Au SDECE, c'est le colonel Laurent et un ancien expert du contre-Espionnage qui devaient élaborer la stratégie de l'opération. Les officiers de Renseignements- sauf ceux travaillant directement pour Jacques Foccart- répugnaient généralement à exécuter des besognes policières et préféraient s'en tenir à leur tache normale de recherche des renseignements sur les pays étrangers. Il n'en était pas de même pour ceux du contre-Espionnage et de la surveillance du territoire. Là, les chefs de section et leurs adjoints, pour qui la promotion comptait avant tout, passaient la majeure partie de leur temps à rassembler des renseignements sur leurs compatriotes connus pour n'être pas d'accord avec la politique du gouvernement.
Au lieu de consacrer leur temps et leur énergie à démasquer les espions russes en France, les Services Secrets français concentraient tous leurs efforts à combattre les membres de l'opposition. Mais cela ne suffisait pas, et Jacques Foccart ordonna la création en Algérie d'un "service parallèle " de Renseignements doté D'amples moyens financiers et commandé par un gauchiste connu sous le nom de colonel Foyer. En fait, ce prétendu service était exclusivement composé d'indicateurs. Toute personne soupçonnée d'être opposée à la politique gaulliste était fichée. Des copies des fiches étaient transmise à Foccart par Pontchardier, et à Frey par l'intermédiaire de Lemarchand.
A la fin de novembre 1961, les recrues de Lemarchand arrivèrent en Algérie par avions spéciaux, Le colonel Laurent et d'autres chefs de groupe avaient déjà établi leurs quartiers dans de luxueux immeubles. Ils avaient commencé à travailler sur leurs fiches fournies par Foyer et avaient établi l'agenda des premières opérations à exécuter. Les hommes se mirent immédiatement à l'oeuvre en posant des bombes dans plusieurs cafés d'Alger connus pour leurs complaisances envers les Francais. La première journée de terrorisme se solda par des douzaines de civils tués ou grièvement blessés.
A partir de ce moment, les équipes spéciales frappèrent chaque jour, plaçant des explosifs sur les objectifs marqués à l'avance et détruisant maisons et appartements où vivaient les suspects. Certains furent enlevés de force, et quand les victimes vivaient dans des endroits isolés on leur infligeait sur place d'horribles tortures, sous prétexte de les faire "parler". En réalité, la plupart du temps, les tortures n'avaient pas pour but d'arracher des aveux, mais seulement de permettre aux persécuteurs d'assouvir leur cruauté et leur sadisme. Le groupe des vietnamiens recrutés par Pontchardier était connu pour son extrême cruauté. On retrouva plus tard des corps portant des marques d'affreuses tortures : pieds brulés, parties sexuelles mutilées, yeux arrachés... Des enfants et des jeunes femmes furent violés devant leurs pères et leurs maris, avant d'être tués de la manière la plus sauvage.
On mit tout en oeuvre pour que le blâme retombât sur des organisations d'extrême-droite, mais ce furent les récits de quelques survivants qui firent apparaitre la vérité.
La monstruosité de tels actes et le fait que les Français pouvaient recourir à des méthodes aussi barbares provoquèrent un sentiment d'horreur chez les représentants du gouvernement en Algérie. Des pressions furent exercées à Paris pour que fussent limitées les répugnantes activités du groupe appelé "les spéciaux". Le colonel Laurent dont l'esprit malade inventait, chaque jour, des tortures et des cruautés nouvelles fut rappelé. Entre-temps, les autres chefs de groupe continuaient à répandre la terreur et à mener une vie de débauche.
A Paris, le ministre de l'Intérieur Frey et Jacques Foccart hésitaient à rappeler les équipes " de choc", dont ils craignaient les indiscrétions aussi bien que les exigences déraisonnables. On trouva une solution plus simple et plus satisfaisante. Le 29 janvier, une grande caisse en bois envoyée prétendument par Mme Lemarchand fut livrée à la villa Andrea, leur quartier-général. Cette caisse contenait, disait-on, une presse nécessaire pour reproduire du matériel de propagande. De Paris, Pierre Lemarchand avait donné comme instructions aux chefs de groupes,de se réunir l'après-midi à la villa Andrea pour y recevoir de nouvelles directives.
Vers 5 heures, une explosion terrible ébranla Alger-pourtant accoutumée depuis longtemps au bruit des explosions. La Villa Andrea était en ruines. Tous ceux qui s'y trouvaient avaient été tués. L'identification de la plupart des corps fut impossible et l'acte de terrorisme fut, comme d'habitude, attribué à un groupe d'extrême-droite.
A la fin de février, le maire d'une petite commune de Seine-et-oise, près de Paris, reçut par l'intermédiaire du préfet des ordres émanant directement du ministre de l'Intérieur. On lui enjoignait de faire creuser huit tombes dans le cimetière local et d'y faire enterrer huit cercueils qui se trouvaient présentement à la morgue de l'aéroport d'Orly. Le maire avait consigne de garder le secret le plus absolu sur ces instructions ainsi que sur la date de l'enterrement, fixé au 24 février. On l'informait en mémé temps de la visite de Mme Lemarchand, qui devait veiller à tous les détails des inhumations.
Au jour fixé, les circueils furent amenés par trois fourgons. La cérémonie fut promptement expédiée. Un prêtre bénit chaque bière individuellement et celles-ci furent immédiatement descendues dans les fosses. Cahcune d'elles portait une inscription : XN1, XN2, etc... On plaça alors sur les terres des croix de bois portant la même inscription que les cercueils; mais au revers de six d'entre elles, on marqua des noms : Cherroux, Veillard, etc... Deux croix restèrent anonymes. Les seuls témoins de ces enterrements semi-clandestins furent le maire, le fossoyeur et Mme Lemarchand qui était accompagnée d'une jeune Orientale inconnue. On n’aurait rien su de cet enterrement inhabituel, sans l'intervention de deux journalistes de l'Express qui, ayant été informés de l'affaire, y assistèrent discrètement. Après que l'Express eut relaté cette étrange histoire, le maire de la petite ville, M.Gauchard, reçut la visite de fiers-à-bras qui lui apprirent la valeur du silence.
Les certificats de décès des onze morts étaient datés du 30 janvier 1962, le lendemain du jour de l'explosion de la villa Andrea, et ces documents avaient été établis à El-Biar, district d'Alger où se trouvait la villa.
l'épisode de la Villa Andrea n'avait pas réussi é éliminer tous les chefs de groupes. Quelques -uns d'entre eux échappèrent à la mort parce qu'ils n'avaient pas assisté à la réunion. On acheta à gros prix leur silence et on leur conseilla de quitter la France pour un certain temps et d'aller résider en Bolivie. Un de leurs patrons, Dominique Pontcahrdier, reçut comme récompense un poste D'ambassadeur en Bolivie et on le pria de venir en aide à ses anciens subordonnés. L'autre personnage qui joua un rôle dans cette affaire, Pierre Lemarchand, fut désigné par l'UNR, le parti gaulliste, comme candidat dans une circonscription où un gaulliste était certain d'être élu, ce qui ne l'empêcha pas de poursuivre ses activités parallèles puisqu'on le retrouva plus tard mêlé à l'affaire Bne barka.
Les adversaires de De Gaulle ayant été, soit éliminés par les barbouzes, comme on les appelait en France, soit emprisonnés et mis hors d'état de nuire, le général décida de donner l'indépendance à l'Algérie. Son premier geste de bonne volonté fut fe faire sortir de Fresnes, la prison proche de paris, le leader algérien Ben bella. L'amusante histoire de cette libération n'a jamais été racontée et elle en vaut pourtant la peine.
Ben bellal devait être conduit sous escorte jusqu'à la frontière suisse, où il rejoindrait ses partenaires. Mais les esprits étaient très montés en France contre le chef algérien, et Foccart craignait que ben Bella ne soit assassiné durant le trajet de la prison à l'aéroport où un hélicoptère attendait pour le transporter à Genève. Pour le protéger, Foccart envoya donc à la prison de Fresnes les propres gardes du corps de De Gaulle, les " Gorilles", et leur ordonna d'abattre toute personne qui voudrait attenter à la vie de l'Algérien. Après les atrocités commises par les Arabes durant les derniers mois, la population était excédée et prête à donner au leader algérien un échantillon de ce que les Français avaient subi dans leur pays. Les gardes du corps de de Gaulle étaient beaucoup plus proches de la population que leur patron : ils connaissaient les sentiments de leurs compatriotes et craignaient de ne pas pouvoir escorter Ben Bella vivant jusqu'à l'hélicoptère qui l'attendait. Aussi, à leur arrivée à la prison, ils demandèrent à l'Algérien de se déguiser en garde mobile. Ben Bella accepta et la voiture quitta la prison de freines, emmenant une "Gorille" qui se faisait passer pour Ben Bella, tandis que le futur président de l'Algérie, affublé d'un uniforme de gendarme français, lui servait de garde.
La grandeur française était à son apogée.
On avait l'habitude, à Paris, de résoudre par l'assassinat les difficultés politiques, comme cela fut, une fois de plus, démontré par le plan machiavélique préparé à la fi de 1962 pour se débarrasser d'ENRICO Mattei.
Peu de personnes ont eu leur vie plus de succès ou se sont fait plus d'ennemis qu'Enrico Mattei, président de l'ENI(Ente Nazionale Idrocarburi), l'Institut National Italien des Hydrocarbures.
Né en 1906, il était le fils d'un agent de police italien. Son père n'ayant pas les moyens de subvenir à l'éducation de ses enfants, le jeune Enrico fut obligé d'aller travailler à l'âge de quatorze ans. Son premier métier fut celui de peintre dans une fabrique de lits de fer. Plus tard, l'ambitieux Mattei fut engagé comme garçon de courses dans une tannerie et, en quelques années, devint directeur de la firme. Mais cela ne suffisait pas à son énergie débordante. À vingt-cinq ans, il démissionna et se spécialisa, à Milan, dans la vente de produits chimiques.
En 1936, il décida de s'installer à son compte et il fonda sa propre entreprise pour la fabrication de produits chimiques, où il employait de nombreux ouvriers. Au moment de l'entrée en guerre de l'Italie, en 1940, les affaires de Mattei étaient florissantes; mais les les hostilités en compromirent bientôt le développement. Dégouté par les fascistes, il entra dans la clandestinité et dirigea un important réseau de partisans en Italie du Nord. A la téte de ses hommes, il combattit les Allemands et les partisans de Mussolini. De de ce fait, après la guerre, Mattei devint un des leaders de la démocratie chrétienne et ses compagnons d'armes formèrent le gouvernement italien après l'armistice.
On demanda alors à Mattei de liquider l'AGIP(Agence Italienne dtalienne du Petrole), une création de Mussolini. Pendant plus de quinze ans, cette compagnie avait gaspillé des sommes énormes à chercher du pétrole dans le sous-sol de la péninsule. Le pays était appauvri et l'on était convaincu qu'aucune prospection effectuée sur le sol italien ne donnerait de résultats.
Agissant à contre-courant, Mattei eut l'idée non seulement de continuer les prospections, mais aussi de maintenir en activité l'AGIP sous la forme d'une entreprise géante s'occupant de prospection et, en outre, de tout ce qui touchait le pétrole et ses dirigés. Après avoir étudié à fond tous les rapports précédents, il acquit la conviction qu'il y avait du méthane dans la vallée du Po et il concentra les recherches dans cette zone. En 1946, on y découvrit un vaste gisement de gaz naturel.
Pour Mattei, c'était le succès. Son ENI, qui procédait de l'AGIP, occupa rapidement une position très en vue non seulement pour l'exploitation du méthane comme énergie à bon marché pour l'industrie italienne, mais aussi pour la construction d'oléoducs, lla création de nouvelles industries pétri-chimiques et de nouvelles raffineries de pétrole dans le monde entier. Diversifiant ses activités, ENI devint une entreprise tentaculaire ayant des intérêts dans le textile, les restaurants, les motels, les journaux, etc...
Ainsi Mattei était devenu à la fois l'homme d'affaires numéro 1 de l'Italie et l'un des chefs les plus importants de l,industrie pétrolière mondiale. Il luttait contre les grandes compagnies étrangères en offrant aux pays du Moyen-orient des contrats à 75% contre les 50-50% que proposaient ses concurrents. En plus, l'ENI ne s'embarrassant pas de considérations politiques, raffinait du pétrole brut acheté à la Russie et aux pays satellites.
Enrico Mattei n'avait jamais été spécialement apprécié en-dehors de l'Italie; et ses succès lui valaient dans le monde de nombreux ennemis, qui redoutaient de lui voir créer empire italien du pétrole. Les journaux occidentaux faisaient campagne contre lui et le gouvernement italien se trouvait, à cause de lui, en difficulté avec ses alliés. Toutefois, Mattei, impassible, continuait à développer ses projets.
S'opposant à la Standard Oil et aux grandes compagnies pétrolières occidentales était une chose, mais s'en prendre au gouvernement de De Gaulle en était une autre ; or, ce fut justement ce que fit Mattei. Quand de Gaulle avait donné l'indépendance aux colonies françaises d'Afrique Noire, et plus tard à l'Algérie, il avait assuré ses compatriotes que la France y garderait sa prééminence économique. Pour stimuler le commerce entre la France et ses anciennes colonies, De Gaulle accorda à celles-ci d'importants crédits et un appui financier considérable.
En France, beaucoup de petits épargnants privés baient mis leur argent dans les cations des compagnies françaises de prospection et d'exploitation de pétrole su Sahara et des territoires nord-africains. Le soutien de ces groupes financiers- De Gaulle le savait- lui était essentiel en cette période cruciale et le général tenait absolument à leur démontrer que la retraite politique de la France en Algérie ne signifiait nullement son remplacement par une nation étrangère dans l'exploration du pétrole. Les bourgeois français pouvaient se croire assurés que la France garderait le contrôle du pétrole nord-africain.
Mattei, lui, ne le pensait pas. Il désirait s'approprier un gros morceau du gâteau- ou, avec un peu de chance, la totalité du dit gâteau. Déjà au Sénégal, au Mali, au Cameroun, en Cote d'Ivoire et même à Madagascar, son AGIP avait conclu des accords avec les gouvernements en vue d'établir un réseau de distribution pour leur pétrole et leurs produits pétroliers. Les italiens étaient en train de s'implanter dans les anciennes colonies françaises, cela à la grande colère de De Gaulle et de son collaborateur chargé des affaires africaines, Jacques Foccart.
En Tunisie, Mattei avait obtenu l'autorisation de procéder à la prospection du pétrole, et il construisait une raffinerie à Bizerte. Il en était de même au Maroc, où l'une des succursales de l'ENI faisait de la prospection et où une raffinerie venait d'être achevées.
Située entre le Maroc et la Tunisie, il y'avait l'Algérie pour le moment en guerre contre les Français; mais Mattei observait les signes avant-coureurs de l'indépendance de ce pays et espérait y trouver un fleuron de plus pour sa couronne.
Les chefs du Front Algérien de Libération Nationale se rendaient souvent en Italie pour y acheter des armes et des munitions et arranger leur transport en Algérie. Le plus grand marchand d'armes du monde, Sam Cummings, président de Intermco dont le siège social est à Alexandria , ne Virginie, avait à Gènes un de ses entrepôts les plus importants. De là, il expédiait aux rebelles et révolutionnaires du monde entier des armes achetées en Europe aux ventes de surplus. les Algériens étaient ses clients réguliers. Mattei leur accordait un certain appui financier et les aidait pour leurs problèmes de transport maritimes. De nombreux renseignements reçus à Paris confirmaient que les leaders arabes lui avaient, en échange, promis un contrat pour la construction d'une raffinerie en Alérie et le monopole de la production du pétrole au Sahara.
la politique de de Gaulle était ainsi compromise. Il fallait faire quelque chose. Les renseignements français avaient plusieurs agents au sein de l'ENI. L'un d'eux, qui occupait un poste élevé, tenait le SDECE au courant et espérait que des mesures énergiques seraient bientôt prises, ce qui lui permettrait de réaliser certaines de ses ambitions. Mais Mattei était un personnage d'envergure et l'Elysée voulut d'abord essayer de le gagner- ou du moins de le persuader de rester en dehors de l'Algérie, même si cela coutait très cher. Un diplomate français fut envoyé en Italie et réussit à obtenir une entrevue avec Mattei. Il lui déclara carrément qu'il représentait un problème gênant pour la France et que, s'il acceptait de mettre fin à ses manœuvres en Algérie, le gouvernement français lui serait reconnaissant et lui accorderait une forte compensation. Mattei était fier, et il éclata de rire au nez du représentant du Quai d'Orsay. Mattei, dit-il, n'avait nul besoin des faveurs de la France et, de son coté, n'avait aucune intention de lui en accorder une. Quand aux menaces, elles le laissaient absolument froid. La conversation tourna court, Mattei ayant prié le diplomate français de s'en aller et de ne plus revenir.
Puisqu'il était impossible de se mettre d'accord avec Mattei, on décida, en haut lieu, d'augmenter les pressions faites sur lui. Plusieurs messages lui furent envoyés portant la signature d'une organisation extrémiste française de droite : On menaçait de l'assassiner s'il ne suspendait pas son aide aux rebelles algériens. Le bruit courut, également, d'un sabotage perpétré sur l'avion personnel de l'industriel italien; mais l'attentat terroriste avait été déjoué à temps. Cette rumeur donna une idée au service "Action" qui avait, à plusieurs reprises, reçu la consigne d'éliminer Mattei.
Pour ses voyages d'affaires, l'italien utilisait un bimoteur à réaction, appareil rapide construit en France par Morane Saulnier. Ses déplacements s'effectuaient selon un programme régulier. Normalement, Mattei faisait la navette entre Milan, Rome, Ravenne et Gela. Très obstiné, le magnat italien refusait la moindre modification à ses plans; il n'admettait même pas qu'un voyage aérien fut retardé pour des raisons de mauvaises conditions météorologiques. Il n'aimait pourtant pas particulièrement se déplacer en avion et, plus d'une fois, il avait été indisposé par le mauvais temps et des perturbations atmosphériques. Mais il préférait cela, plutôt que d'annuler une réunion à laquelle il avait promis d'assister.
Le service "Action" avait pris la décision de saboter l'avion de mattei. L'aèroport de Catane fut choisi comme l'endroit idéal pour accomplir cet attentat, parce que la surveillance des avions stationnés sur l'aérodrome de Fontanarosa ne paraissait pas très active et parce que Mattei y faisait souvent escale lorsqu'il allait inspecter des travaux de forage aux alentours de gela. Ce nouveau gisement de pétrole était devenu un des projets les plus chers du président de l'ENI, et il y passait une grande partie de son temps pour mettre au point les nouveaux chantiers.
Au cœur des deux années précédentes, le SDECE avait, à plusieurs occasions, recouru à des sabotages d'avions et le Service avait élaboré une technique simple pour ce genre d'attentats. Des mécaniciens parlant couramment la langue du pays où l'opération devait avoir lieu étaient spécialement entrainés sur du matériel et des avions identiques à ceux choisis comme objectif. Dans le cas de Mattei, la chose ne posait aucun problème particulier, car l'homme désigné avait travaillé sur un appareil semblable dans l'usine Morane Saulnier et il connaissait très bien l'équipement spécial qu'on avait placé sur l'avion avant de le livrer à l'acheteur italien.
Je ne connaissais pas le nom exact du saboteur, mais son pseudonyme était Laurent. D'origine corse, il parlait couramment l'italien. Au cours de l'automne 1962, il se rendit en Sicile et s'établit temporairement à Catane, où il eut l'occasion de trouver du travail à l'aéroport de Fontanarosa.
Le poste de SDECE à Rome restait en contact avec ses agents dans l'entourage de Mattei et suivait de près tous les déplacements de l'homme d'affaires. Quand au service "Action", il recevait d'avance les bulletins météorologiques concernant les endroits où Mattei devait se rendre.
Le 26 Octobre, des renseignements arrivèrent suivant lesquels Mattei devait quitter Catane par avion le lendemain, en fin d'après-midi, pour arriver à Milan à la tombée de la nuit. Les prévisions météorologiques annonçaient que sur Milan le plafond serait bas et le brouillard épais.
Laurent reçut l'ordre d'agir.
Au matin du samedi 27 octobre, il gagna l'aéroport et put monter à bord de l'appareil de Mattei sans être remarqué. En moins d'un quart d'heure, travaillant avec la dextérité que lui donnait un long entrainement, il débrancha et retrancha d'une manière différente certains fils reliant les instruments. Ouvrant la boite noire de l'altimètre, il substitua rapidement à certains éléments les pièces qu'il avait apportées avec lui. Sa besogne accomplie, il fit disparaitre toute trace de sa visite. jeta un coup d’œil aux alentours pour s'assurer que tout était en ordre et partit sans être vu. Tout avait marché sans accroc et il se surprit à siffloter.
Bien que trois hommes fussent condamnés à mourir quelques heures plus tard, il n"éprouvait nul remords. Il était bien entrainé et ne pensait qu'à L,argent qu'il toucherait bientôt comme prix de ses services.
Pendant ce temps, Enrico Mattei faisait visiter son gisement de pétrole de Gela a un journaliste américain, William McHale, chef du bureau de Times a Rome, qui était venu l'interviewer. Il avait passé quelque temps en Irak et était trés au courant des problèmes du pétrole. Time avait toujours violemment critiqué Mattei et celui-ci, profondément ulcéré, essayait de présenter ses projets et lui-méme sous le jour le plus favorable. McHale avait l'intention de regagner Rome par avion de ligne commerciale; mais Mattei insista pour qu'il l’accompagnât a Milan afin de voir certains autres projets qui lui tenaient a coeur. MacHale estima que le déplacement valait la peine et accepta l'invitation.
Vers 16 heures 30, Mattei et MacHale arrivérent a l’aéroport Fontanarosa, a Cantane, et s’embarquèrent immédiatement sur Morane Saulnier ou les attendait le pilote préféré de Mattei, qui était aussi son compagnon de pêche a la truite. Irnenio Bertuzzi avait servi comme pilote dans l'Aviation italienne durant la guerre et avait été membre de la fameuse escadrille Baracca qui signifie"Bonne chance" en arabe. Il avait jusqu'alors eu de la chance, en effet; et il ne pouvait pas savoir que cette chance l'avait désormais abandonné.
Le Morane Saulnuier était construit comme un avion de chasse Le cockpit était recouvert de plexiglas transparent, et quand l'appareil décolla, vers 17 heures, on aperçut Mattei assis sur le siège avant, a coté de Bertuzzi, tandis que McHale avait pris place a l’arrière et s'appuyait au dossier du siège de Mattei.
La distance entre Milan et Catane est d'environ 1000 kilomètres et le Morane Saulnier vole a environ 650 kilomètres a l'heure, a l'altitude de 25 000 pieds.
A 18 h 45, conformément a son horaire, l'avion s'approcha de l'aéroport de Milan. Il faisait noir, le temps était mauvais et le plafond très bas. Bertuzzi n,avait d,autre choix que d’atterrir aux instruments. Il appela la tour de contrôle de Linate et annonça : " Altitude 6000 pieds." Visibilité sur la piste d'envol : 1400 mètres. Vous pouvez atterrir immédiatement", répondit la voix de la tour de contrôle. Bertuzzi répondit :"Évidemment." Réponse étrange et laconique, absolument inattendue. Quelques minutes plus tard, cependant, le pilote se fit entendre de nouveau, déclarant qu'il descendait a 2000 pieds et qu'il tournait autour de l,aéroport afin de perdre de l'altitude.
"Quand allez-vous atterrir?" demanda la tour de contrôle.
" Dans une minute, une minute et demie", répondit Bertuzzi.
Ce furent les dernières paroles du pilote. Une minute plus tard, alors qu'il croyait se trouver a une altitude de quelques centaines de pieds, l'avion émergea brusquement du brouillard et trouva devant lui une rangée de peupliers. L'appareil plongea au sol et explosa.
A Paris, les responsables de l'opération exprimèrent leur satisfaction. L'affaire Mattei était maintenant terminée. Quand au journaliste et au malheureux pilote qui ne pouvait pas savoir que son altimètre et ses instruments avaient été sabotés, ils n'y pensaient pas plus qu'ils ne pensaient aux familles douloureusement éprouvées. Rentrant chez eux, auprès de leurs enfants, il n'eurent aucun remords.
L'ASSASSINAT FAISAIT PARTIE DE LA ROUTINE JOURNALIÈRE DES MEMBRES DU SERVICE "Action" DU SDECE. Ils exécutaient ponctuellement les ordres qu'ils recevaient et étaient fiers de leur habileté qui, ils en étaient convaincus, valait bien celle de la Gestapo ou du KGB.
le RÉGIME GAULLISTE ÉTAIT BIEN PROTÉGÉ