15/11/2012
Mémoires d’une jeune fille engagée d'A. Fernandez
En 1960, à quelques kilomètres d’Aix, une famille habite Le Mas, une maison sans eau courante. Le père est potier, la mère fait des massages à l’établissement thermal ; des quatre enfants, les deux aînés sont partis (l’un, Michel, fait son service militaire en Algérie) et les plus jeunes suivent leurs études. On se déplace dans une vieille 2CV, on ne roule pas sur l’or, mais les difficultés matérielles sont reléguées à l’arrière-plan de cette famille qui puise sa force vitale en son unité et en l’idéal d’une société communiste : « Mes parents sont communistes. Je suis dans le droit chemin familial. », précise d’emblée Anita Fernandez.
Ces souvenirs se présentent sous la forme d’un journal émaillé de quelques documents de l’époque (articles de journaux, extraits d’agendas,…) et de correspondances (nombreuses lettres de la mère à une cousine ou à sa fille). Mélange heureux car l’auteur propose son témoignage comme elle aurait écrit son journal de bord, capitaine du bateau ‘qu’est-ce que je veux faire de ma vie ?’ – en 1960, elle a vingt ans –, consignant les faits du jour, ses activités et observations. Et quoi qu’il arrive, pas question de changer de cap ! Cet exercice, qui appelle une écriture cursive, sans recherche stylistique ni analytique, aurait pu lasser à la longue sans les précieuses lettres d’Adèle, toutes douces et d’amour emplies. Le ton est donné, il n’est pas monotone et on se laisse porter par le fil d’une narration bientôt enveloppante comme si, à notre oreille, murmurait une voix amie dont la sincérité ne fait aucun doute.
Première clef de voûte de l’éducation de la jeune Anita : Le communisme. Comment ne pas penser au titre du film : « Tout le monde n’a pas la chance d’avoir eu des parents communistes », quand on lit les lettres de la mère qui s’applique à favoriser le libre développement de sa fille : « Nous essayons de faire le moins de différence possible entre mes fils et ma fille, elle sait que nous nous sommes battus pour sa liberté, j’espère qu’elle saura quoi en faire » ? Laquelle, de son côté, affirme : « Je suis une jeune fille libre, libre de choisir un avenir à l’égale de mes frères. »
Distribution de tracts, réunion de cellule de quartier, carte du Parti, lecture de l’Humanité… Les jalons du parcours de la jeune fille sont ceux d’une militante exemplaire qui s’investit totalement dans son engagement au point de prendre d’importants risques en cachant un responsable du FLN en 1960 ou en accompagnant une évasion de la prison de la Petite-Roquette à Paris, un peu plus tard. La peur n’existe pas ou est surmontable pour qui a la ‘foi’… Heureux, les engagés !
Autre pilier d’une jeunesse bien assumée, l’amour qui lie les membres de cette famille et repose sur des sentiments de confiance et de respect mutuel. Les lettres d’Adèle à sa fille Anita sont autant de déclarations d’amour ; elles commencent par « Ma Colombe » ou « Ma plus belle fleur », se poursuivent sur de menues nouvelles de préférence positives et mettent gentiment en garde – instinct maternel oblige ! – contre les dangers d’une période extrêmement troublée.
Enfin, la vie de la jeune fille se place sous le signe du septième art en raison de son goût pour le cinéma. Le métier de monteuse l’attire : « J’aime ce mélange de manuel et de réflexion, le côté artisanat. » et les descriptions qui s’ensuivent, donnent un éclairage sur une profession mal connue du grand public.
En conclusion, nous avons aimé ce Journal original et vif à double titre : aussi bien pour l’histoire d’un parcours fortement marqué par les événements d’Algérie que pour retrouver ou découvrir – selon l’âge – le monde des livres, des films, d’une époque créative où on n’était pas encore tombés dans les rets de la société de consommation tous azimuts (ou de surconsommation). Nous avons également aimé la voix (et la voie ?) d’une auteure qui va son chemin en accord avec le précepte sartrien : « Il faut faire en sorte de pouvoir, en toute circonstance, choisir sa vie. »
NB : Le Journal d’Anita Fernandez (124 pages) est publié dans Etoiles d’encre, revue de femmes en Méditerranée, n° 51-52, septembre 2012, « Algérie – 50 ans », éditions Chèvre-feuille étoilée.