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Un Harki dans les secrets de Dieu

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Iferhounene : Guerre d’Algérie 1954-1962

 

 

Un harki dans les secrets de Dieu

 

Par Si hadj Abdenour « Fils de fellagha»

 

 

La répression qui s’était abattue sur ma mère , après que son mari eut été fusillé  publiquement en 1959 n’a pas  de visage en tout cas s’elle émanait d’une puissance  qui avait pour mission  de civiliser un peuple indigène barbare de surcroît , elle n’en demeurait pas moins sauvage elle-même ; inhumaine misogyne , œuvre de déséquilibrés, de déchets  de la nature qui érigeaient le mal en un idéal spirituel qui ne peut trouver ses origines  que dans une éducation  abandonnée aux instincts primaires d’une société athée , désaxée. Les stratèges militaires du camp d’iferhounene n’ont pas trouvé mieux que de rendre la vie encore plus infernale à une femme , à qui on venait de happer son fils en 1958 ,puis son mari en 1959 , tous deux tués par les forces de l’envahisseur.

 Jugez en vous mêmes, par la préméditation qu’elles ont y mis.

             Depuis l’automne 1959 date de notre retour  au village, après notre exil forcé de 16 mois, ma mère forcée de travailler dur aux champs pour subvenir aux besoins de ses 8 enfants tous en bas age venait juste de rentrer ce jour du champ « ighil oumagramane » à 1 km environ du village, en contrebas du camp d’iferhounene, situé sur une configuration de terrain très escarpée. Elle avait sur son dos une charge de plus de 50 kg de frênes et herbes qu’elle avait coupée elle-même, mis sous forme de fardeau et chargée seule,  sur son dos. Peut être que du camp, le trajet emprunté par ma mère à travers  un sentier sinueux et découvert, avait il été observé soigneusement par le lieutenant Pelardi ?

Il savait sans aucun doute que transporter  un tel fardeau sur un plan incliné et bosselé pouvait essouffler au mieux  un homme de bonne constitution physique et au pire ereinter une femme qui n’etait pas initiée aux travaux  de champs. Il avait sans  doute  tout observé du camp qui dominait tout la région, pour avoir ordonné à son valet et non moins harki en la personne de Ait Mouhoub Mohand dit « Mohand Tizi, » un personnage serviable, maniable, manipulable a merci doté plus de réflexes conditionnés que d’une personnalité autonome, de punir de  la manière la plus humiliante méchante ma pauvre mère.

Ce sinistre individu s’est fait un plaisir sadique d’intercepter ma mère à son apparition devant du village lorsqu’elle franchit la barrière   de barbelés qui l’entourait. Sans attendre, comminutif il s’adresse à ma mère en ce termes «  tu vas de ce pas  décharger ton fardeau d’herbes et revenir immédiatement, Je dois de te charger d’un travail : déboucher  la canalisation des eaux  d’égouts que tu vois là. Elle déborde. Voila je t’ai préparé une pelle et une pioche. »

Choquée, ma mère eut instinctivement ses phrases, qu’elle arrivait à peine prononcer, à cause de l’essoufflement qu’elle ressentait  à ce moment :

«  Mais, si Mohand, (SI : est la formule de respect usutée chez les kabyles pour donner plus de considération a leur interlocuteur) tu vois bien que je viens de terminer un travail pénible, je n’en peux plus. Je ne suis pas habituée aux travaux, réservés, chez nous les kabyles, aux hommes. Je suis une femme de la maison (au foyer) »Ce que je fais actuellement, me permets d’empêcher, tout juste,  mes enfants de mourir »

- Mohand tizi «  tu vas déboucher cet égout crevé. Le lieutenant va passer voir tout à l’heure. »

- Ma mère «  mais  tu vois bien que je suis fatiguée, je reviens de loin avec une charge, tout ça, pour que mes enfant ne meurent pas de faim. Et puis,  ne pensez vous pas que je suis une femme ? »

- Mohand tizi «  tu dois déboucher cet égout, c’est un ordre qu’on m’a donné »

 

Alors ma pauvre mère s’en est allée se débarrasser de son fardeau.

 

A son retour sur les lieux ; ma mère retrouva Mohand Tizi qui lui tendit la pioche et la pelle en lui ordonnant de commencer à découvrir l’endroit de la canalisation cassée et qui  dégageait une odeur pestilentielle

Mon oncle Mohand Ouali qui n’est autre que le frère à ma mère , voyant ce manège s’est précipité sur l’endroit où les travaux forcées étaient en train de se dérouler ; pour se proposer de les effectuer  lui même en lieu et place.

Rien n y fait. Mohand tizi ; fidèle à son maître, et plus comminutif, reprendra : « non ! Ce sont les ordres, c’est à elle d’exécuter ce travail »

Ma mère, pendant ce temps avait commencé à creuser péniblement

 En face, assis sur une banquette en béton, un autre supplétif du nom de Ait Messaoud Mohand Ouidir, originaire de tikilsa, suivait la scène qui se déroulait devant ses yeux, sans rien dire, mais visiblement contrarié.

A ce moment, comme pris par une sorte, de compression interne, mon oncle, tournant la tête vers lui, comme pour le tenir a témoin, et solliciter son intervention pour mettre fin à ce calvaire, s’adressa à lui en ces termes :

- «  dites moi Mohand Ouidir, est ce là une façon humaine de faire ? Obliger une femme seule, tout simplement pour lui faire du mal,  à des travaux durs »

Le harki a fini par dégueuler ce qui lui était resté, en fait sur le cœur :

- Ait Messaoud  Mohand ouidir : «  t’en fais pas, Si Mohand Ouali , la main de Dieu va nous attraper et nous punir un jour ou l’autre »

Peut être était ce sa manière d’exprimer son ras le bol de sa situation, de son désaccord  avec ces pratiques  moyenâgeuses.

Pour en revenir à la punition de Dieu, autant dire que c’est chose faite puisque deux années plus tard, nos deux harkis seront livrés poings et pieds liés à la vindicte populaire en même temps qu’une dizaine de leurs collègues ayant choisi de s’engager dans une cause injuste et de surcroît, on savait perdue d’avance.

Inutile de s’attarder  sur les sévices subis par ces deux comparses dont certains d’entre eux avaient été tués de façon atroce.

Mais il y a un fait sur lequel je suis comme contraint de revenir tellement il avait retenu mon attention. Etant  moi même marabout, et mon idée, quoique pourraient en penser Dussouhet, Bertherand ou jacquot, Carette et autres laïcs, mais non porté sur une vue superstitieuse des événements, cependant certains faits m’invitent de façon permanente et soutenue à reconsidérer mes conviction personnelles dans ce domaine  bien précis  du mal dont on puisse être l’auteur, ici bas,  vis à vis de nos semblables.

 Ait Messaoud Ouidir, comme je l’ai dit plus haut dans ma narration, est un harki à part entière. Cependant est il nécessaire de préciser qu’il n’avait jamais porté un quelconque préjudice à quiconque du camp  dit «  rebelle » de ce conflit algero-francais. Il semblerait selon les informations  que je détiens à ce sujet et corroborées par des témoignages ça et là, que l’intéressé avait été l’objet de tortures atroces  de la part de l’armée française et retenu au camp d’iferhounene contre son propre gré.

J’ai eu à maintes occasions à le croiser  au village puisqu’il occupait avec d’autres supplétifs  la maison de notre oncle Hadj Mohamed expulsé comme nous, en 1958 du village. Nous, avions été autorisés à réintégrer notre village, après la mort de nos hommes, en automne 1959. Par contre Hadj Mohamed, lui, et sa famille,  avaient trouvé refuge à Sétif et n’avait depuis plus éprouvé le besoin ni l’envie de retourner  au village.

 Pour en revenir à Ait Messaoud, ce petit homme  rouquin, m’avait paru sympathique à juste titre d’ailleurs. Mon intuition ne me trompait  que très rarement en ces temps de vérités. Je dis bien, aujourd’hui en 1959, cet homme m’avait inspiré beaucoup de confiance, enfant de 9 ans que j’étais, et je mesure bien mes mots.

Ce qui n’était pas le cas de Mohand Tizi qui transpirait la méchanceté et ruminait ses problèmes  de conscience malade. Il avait me semblait il une aversion envers notre famille , et donc tout ce qui pouvait nous faire oublier nos malheurs d’enfants orphelins ,  comme jouer et rire par exemple , le dérangeait au plus haut point. il avait à mon avis un psy d’un don quichotte qui devait œuvrer  sans cesse à la satisfaction maximale de son insatiable maître , le lieutenant Pelardi , un sinistre et effronté  chasseur alpin de l’active.

Mais revenons encore une fois a Ait Messaoud, car ce personnage est à mes yeux un être exceptionnel qui mérite bien d’être mis, en pareilles circonstances, sous les feux de la rampe. Il était très conscient de ses actes mais surtout qu’il comprenait bien sa situation, les conditions dans les lesquelles il vivait.

 Sa phrase «  t’en fais pas, oh  Si Mohand Ouali ! La main de Dieu nous rattrapera et nous punira un jour ou l’autre » disait très long, trop ! Même,  pour celui qui veut gérer son futur  et celui de ses enfants. Cette phrase avait fait l’effet d’une bombe assourdissante dans mes oreilles. Elle  revenait comme pour me rappeler qu’un événement fatidique allait se produire et qu’il était imparable.

Serait ce l’indépendance ?

Tiens parlons en, puisque, nous sommes depuis quelques jours entièrement libres. Plus de soldats français  plus de GMC plus jeep et surtout plus de tirs, ni de cris de suppliciés qu’on entendait fuser du sinistre camp, d’en face, déchirer le silence des ravins escarpés et sombres et lugubres.

Mais certains harkis sont toujours là, inoffensifs, en tenu civile, car abandonnés par l’armée française sur les lieux du crime. Ces harkis allaient être livrés à la colère comprimée des années durant, des algériens, torturés, volés, violés, assassinés.

J’ai personnellement, enfant de 12 que j’étais à cette époque de l’indépendance recouvrée, assisté à une punition collective, non pas œuvre des généraux Bugeaud, Cavaignac, Mac Mahon ou Yusuf ou encore d’un maréchal de France contre des prisonniers enfants et femmes de mechtas ou de beaux villages kabyles, mais d’éléments FLN contre un groupe de harkis. Ramassé aux quatre coins de la commune mixe du Djurdjura ou pour revisiter une autre colonisation lointaine emprunter leur langage, pour dire Mons Ferratus. Ce jour là la population ; parmi laquelle les écoliers avaient été autorisée  à cette séance répugnante car rappelant la tristement célèbre torture des tortionnaires français et des supplétifs zélés. Pour les faits reprochés et par suite la sanction infligée dans pareil cas, je suis très loin de pouvoir résoudre la question pour moi moi-même en tant que problème casse tête de morale intellectuelle. Mais,  dans tous les cas de figure nous nous trouvons  renvoyés de façon récurrente au premier responsable, l’envahisseur à l’origine de ce désordre de la nature des choses.

Là j’ai vu devant moi à quelques  mètres seulement où j’étais posté sur un mur d’un mètre de hauteur, sur une plate forme, des harkis se livrer bataille sous une pluie de coups de crosses  sur le dos ou,  parfois sur la tête, pour les plus récalcitrants qui viendraient à refuser le combat ou ménager leur frère ennemi de circonstance.

 J’ai vu de mes propres yeux  un petit vieux cracher dans la bouche  d’un des nouveaux détenus.

J’ai appris que pas moins de 12  harkis avaient été empilés, ce jour,  le mot n’est fort,  dans une pièce dépourvue de fenêtre, une nuit durant ces corps  tassés comme des sardines en station debout ( !)… je savais que le manque d’oxygène, élève indigène que j’étais (car je n’avais encore accédé à  cette leçon à l’école française) conduisait inéluctablement à la mort par asphyxie.

 Cqfd, puisque, c’était l’objectif recherché et atteint puisque le lendemain, tous étaient passés de vie à trépas. Une exception cependant qui va conformer la règle. Ce qui n’était pas un non sens  pour moi d’autant plus qu’il s’agissait de notre célèbre personnage Ait Messaoud.

Ecoutons plus tôt mon oncle sadek qui conduisait à cette époque le camion qui devait les livrer  à la fosse commune non loin de Tacherit où la Velléda FTMA N SOUMER avait livré en 1854-1857 une bataille sanglante aux troupes du Maréchal Randon , sur le bas coté de la route traversant le mamelon de Guerdja , au lieu de dit thahammalt nemha athouefdhis littéralement – le ravin de M’HA l’homme à la masse »

«  Nous avions trouvé ce jour, la fosse déjà préparée, un trou géant  qu’on dirait creusé par une bombe de grande puissance, espèce de cratère de 5 mètres environ de diamètre et 3 a 4 mètres de profondeurs.l’operation pour nous deux qui étions chargés de la besogne, consistait à déverser le contenu de notre benne d’un Berliet ancien modèle, avec direction non assistée, dans ce trou béant

Tous les corps étaient sans vie. Du moins  c’est ce qui avait été déterminé par empirisme. Point de constat de décès encore moins d’autopsie ( ?) cela ne servirait de toute façon à rien, étant donné le but que l’on s’était fixé : exécuter ceux qui, des années durant étaient responsables de bien des crimes, de viols et trahisons.

 Le corps de Ait Messaoud lui était toujours en vie. Il bougeait. Pour m’en assurer, en me concentrant, je retenais ma respiration et tendait une oreille pointue vers le nez de l’infortuné : un léger râle me confirmait ce que  un moment je pensais être une simple illusion, ou un délire qui pourrait me saisir en ces moments tragiques, intenables.

 A ce moment je n ai pu m’empêcher de crier «  arrêtez ! Il vit encore ! Celui là. »

- Le compagnon  de mon oncle  X : «  de toute façon  ils doivent tous mourir, c’est la sentence qui leur est réservée. Et puis nous ne pouvons déroger, sinon ils nous prendraient, à notre tour pour des traîtres à la révolution »

C’était l’état d’esprit qui prévalait pendant ces premiers jours d’indépendance. Les traumatismes de guerre ne permettaient pas dans ces premiers pas  d’indépendance des raisonnements logiques, encore moins libres ou audacieux.le rescapé était un instant soumis au jugement de deux personnes dont la personnalité est celle de colonisés. Cela me rappelle le fameux jeune homme parricide dont le verdict de vie ou de mort était suspendu aux lèvres de 12 hommes en colère. Lequel d’entre eux, mon oncle, qui penche pour l’acquittement, et  X partisan de la peine capitale allait triompher. Cela dépendait bien entendu de la force de la conviction de chacun.

 Pour l’instant le débat engagé, entre mon oncle et  son compagnon continue en soulevant une leçon de morale d’un niveau très élevé. Trop élevé pour des indigènes longtemps enfermés dans la peur de mourir au mieux d’une balle au pire de torture qui aura duré le temps d’endurance de leur corps.

 - Mon oncle «  non ! Celui là ne doit pas mourir, C’est Dieu qui l’a voulu ainsi !  En attendant je dois le ramener au village »

- x « je te suis, sadek, je suis de ton avis. De toute façon il ne m’appartient pas de décider de son sort. Cela me dépasse »

On voit que x s‘était facilement rallié à la cause défendue par mon oncle et l’idée de faire tout ce qui était possible pour lui  sauver la vie était bien ancrée dans leurs tètes maintenant à deux. On commença à le traiter déjà comme un malade à assister contre la mort. On lui donna de l’eau fraîche à boire dans une bouteille qu’on avait auparavant remplie d’une source qui continue de sourdre à quelques mètres de là. Soit dit en passant, les ittourars regorgent de source d’eau fraîche dont la plupart sont minérales.

Notre rescapé, qui venait de revenir de très loin, a repris, maintenant connaissance sans savoir ce qui lui était arrivé.mais en écoutant la discussion qui se déroulait autour de lui il finit par comprendre qu’il avait à faire à des sauveurs, non plus à des bourreaux. Ce qui était déjà un grand pas positif dans sa situation de condamné.il n’en croyais pas ses yeux et ses oreilles malgré toute l’assurance qui lui avait été donnée qu’ils feraient tout pour que la volonté de Dieu soit faite : savoir le maintenir en vie.

- Mon oncle «  je vous dis que celui là ne doit en aucun cas mourir. De plus, tel que je le  connaissais il n’avait jamais fait du mal à une mouche. Et puis, s’il était arrivé à survivre à cette épreuve où tous ont péri sauf lui, cela devrait être pris comme un signe  que Dieu a voulu le laisser encore en vie. Si non, chétif qu’il est, il aurait logiquement péri avec ses compagnons qui sont déjà sous terre »

- X «  d’accord ! D’accord ! Je suis entièrement de ton avis. Nous devons leur dire (aux responsables) de l’épargner. J’espère seulement qu’ils vont nous écouter et faire que notre souhait devienne réalité »

- mon oncle «  s’ils doivent le tuer, il faudra qu’ils commencent par moi ! Car voyez vous, je suis convaincu que c’est un message que Dieu a voulu nous envoyer. Nous devons le respecter. Il ne faut jamais aller à l’ encontre de sa volonté »

C’est ainsi que Ait Messaoud avait repris le cours normal d’une vie de citoyen, dans son village. Je le revis dans sa tenue de kabyle, en essayant d’imaginer ce qu’il était il y’ avait deux ans  dans son uniforme militaire de l’armée française. Rien de changé il était et est demeuré toujours réservé, respectueux. Il vécut les deux périodes, impassibles, soumis à ses deux destins antagonistes mais non contradictoires. J’ai appris, au moment où j’écrivais ces lignes  qu’il était décédé de sa mort naturelle.il avait tout simplement vécu sans que je ne lui connaisse un fait saillant dans sa vie ni positif ni négatif, à part la phrase lapidaire qui me revient sans cesse à l’esprit comme pour me soulager quelque peu dans mes moments de colère  des séquelles de la guerre meurtrière, traîtresse et impitoyable.  « La main de Dieu finira par nous attraper pour mous punir » (du péché que nous aurions commis) »

Pour revenir à Mohand Tizi- les échos  qui me sont parvenus au Moment  où j écrivais  ces phrases- même  s’il avait survécu à la vague de punitions, car livré lui aussi poings et pieds liés, je ne souhaiterais pas m’attarder  sur le sort qui lui était réservé, car je ne suis pas de nature à faire l’éloge de  la torture d’où quelle vienne, je suis de nature pacifiste.


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