MOSTEFA HADDAD, UNIVERSITAIRE ET CHERCHEUR, À “LIBERTÉ”
“Conjuguer les sources pour prendre en charge l’écriture de notre histoire”
Par : Rachid HamatouInvité par les initiateurs du colloque consacré à la recherche et études sur l’histoire de l’Algérie durant les 50 ans d’indépendance, Mostefa Haddad, enseignant d’histoire à l’université de Batna, revient dans cet entretien sur la recherche universitaire en Algérie dans le domaine de l’écriture de l’histoire.
Liberté : Peut-on quantifier la somme des travaux, ramassée depuis l’indépendance jusqu'à nos jours au sein de l’institution universitaire algérienne ?
Mostefa Haddad : Il y a une tendance qui se dessine dans la sphère de la recherche en matière de l’écriture de l’histoire et qui consiste à considérer les différents témoignages écrits ou oraux des moudjahidine comme seule source exclusive de vérité. Il s’avère donc nécessaire de voir d’autres aspects et d’autres sources, d’autres apports pour une écriture plus variée.
Est-il normal que l’essentiel des références sur la guerre d’indépendance soit essentiellement l’œuvre universitaire d’historiens français ?
Suite aux débats soulevés lors de ce colloque à la fois par les étudiants et les intervenants, des signaux clairs nous disent qu’il est impératif de conjuguer différentes sources (témoignages, écrits, différents supports) pour prendre en charge nous-mêmes l’écriture de notre histoire, sans pour autant l’interdire aux autres ; l’exclusivisme est dévastateur. En filigrane et après avoir assisté à de nombreuses manifestations, je déduis que le cérémonial n’est pas concluant quant à faire émerger une école d’histoire digne d’un pays à la recherche de son identité.
On entend souvent l’expression “Algérie, jeune nation”. Est-elle si jeune que ça, alors que des archéologues algériens parlent d’Algérie millénaire ?
Pour pouvoir analyser le sujet, en consultant les différents partenaires et antagonistes, depuis les années 1940, il a été écrit notamment que l’Algérie est une nation en état de formation. Peut-on se hasarder à se prononcer sur l’élaboration de l’identité de cette nation ? Pour les chercheurs en sciences humaines et sociales, ce genre d’interrogations et problématiques est ce qui pousse à être au diapason du savoir et de la culture.
Ces deux points sont l’ossature principale de toute recherche loin du charlatanisme et de “l’apeuprisme”, car ce genre de discours est dangereux et nous égare.
Et outre le savoir et la science ?
Je ne vous apprends rien et je refuse de défoncer des portes ouvertes, mais le facteur moyens financiers reste déterminant. Pour assurer une accumulation d’écrits de qualité de l’histoire de notre pays, notamment ceux de la guerre de libération, les pouvoirs publics approuvent des sommes et des budgets colossaux distribués à tort et à travers pour dire qu’on écrit l’histoire. Cette manière de faire pervertit une production et une réflexion sereine, objective et crédible, pour la simple raison que, souvent, cette tâche est attribuée à des non-spécialistes, quand bien même ils seraient animés de bonnes intentions, cela ne suffit pas. Il est nécessaire de rappeler les fonctions de l’Etat, qui n’a pas un rôle de tiroir-caisse.
Que préconisez-vous ?
Nous avons des institutions destinées à produire des écrits académiques, donc qui répondent aux normes. Travailler en dehors de ces institutions, c’est produire l’inverse et décrédibiliser ce champ sensible de savoir qui est l’histoire.