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la verite sur Abane Ramdane

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IMPORTANT:Tous les détails de l’assassinat d'ABANE RAMDANE, le Jean Moulin algérien
Par Mohamed Lebdjaoui
Le 29 mai 1958, El Moudjahid, organe central du FLN, publiait son numéro 24,
la première page entièrement encadrée de noir. En titre, au-dessus d’une
grande photo : " Abane Ramdane est mort au champ d’honneur. "
Et voici le texte : " Le Front de Libération Nationale a la douleur d’annoncer la mort du frère Abane Ramdane, décède sur le sol national des
suites de graves blessures reçues au cours d’un accrochage entre une
compagnie de l’Armée de libération nationale chargée de sa protection et un
groupe motorisé de l’armée française.
" C’est en décembre 1957 que le frère Abane Ramdane s’était chargé d’une
mission importante et urgente de contrôle à l’intérieur du pays. Il
réussissait à franchir avec beaucoup de difficultés les barrages de l’ennemi
pour parvenir aux lieux qu’il s’était assignés. Sa mission se déroulait
lentement et surement.
Avec cette conscience et cette minutie que nos djounouds ont eu si souvent l’occasion d’apprécier, Abane poursuivait sa tache journellement. Contactant
inlassablement l’Armée et les commissaires politiques, il parcourait les
zones dans tous les sens, entouré de l’affection et de l’admiration de tous
ses frères. Une compagnie de djounouds était spécialement chargée de sa
protection et rien ne laissait prévoir l’accident brutal qui devait l’arracher a la ferveur de l’Algérie combattante.
" Malheureusement, dans la première quinzaine d’avril, un violent accrochage
entre nos troupes et celles de l’ennemi devait mettre la compagnie de
protection de notre frère Abane dans l’obligation de participer à l’engagement. Au cours du combat qui dura plusieurs heures, Abane fut blessé.
Tout laissait espérer que ses blessures seraient sans gravité. Entouré de
soins vigilants, nous espérions que la constitution robuste de Abane
finirait par l’emporter. Pendant des semaines nous sommes restés sans
nouvelles, persuadés cependant qu’il triompherait une fois encore de l’adversité. Hélas ! une grave hémorragie devait lui être fatale.
" C est la triste nouvelle qui vient de nous parvenir. " La belle et noble
figure de Abane Ramdane, son courage et sa volonté ont marqué les phases
essentielles de la lutte du peuple algérien

" Ne en 1919, ancien élève du collège de Blida, doué d’une solide culture,
il était dès 1946 membre du MTLD. Il se distinguait rapidement par ses
qualités d’organisateur, devenait membre du Comite central et chef de la
wilaya de l’Est (à l’époque du Nord constantinois). Impliqué dans le "
complot " dit du Constantinois, il était arrêté et condamné à six ans de
prison, fin 1950. Son comportement courageux au cours de sa longue détention
devait entrainer pour lui des déplacements continuels. Commençait alors un
long périple dans les prisons centrales de France et d’Algérie.
" Libéré en février 1955, il entrait immédiatement au Front de Libération
Nationale dont il devenait rapidement un membre dirigeant. A ce titre, il
participera à l organisation du Congrès de la Soummam (aout 1956). Désigné
comme membre du Comite de coordination et d’ Exécution, il s installait à
Alger. Avec les autres frères, il menait " la bataille d Alger " de décembre
1956 à mars 1957. Echappant de justesse au général Massu, il quittait l’Algérie pour participer à la conférence du Caire en aout 1957.
" Le Front de Libération Nationale perd un de ses meilleurs organisateurs. L’Algérie combattante un de ses enfants les plus valeureux.
" Nous pleurons un frère de combat dont le souvenir saura nous guider. "
J ai tenu à reproduire intégralement ce texte historique. Mis à part la
biographie finale, autant de lignes, autant de mensonges. De toutes les
tragédies qui ont marqué la Révolution algérienne, la mort d’Abane est l’une
des plus atroces : mais non pour les raisons que donne la fraction
dirigeante du CCE, inspiratrice de l’article.
Car il est temps de dire tout haut ce que quelques-uns savent, ce que
beaucoup pressentent, et qui empoisonne encore, onze ans âpres, l’atmosphère
de bien des milieux politiques algériens. Abane Ramdane n’est pas mort au
champ d honneur. Il a été, de la manière la plus lâche, attiré dans un
guet-apens et assassiné, de sang-froid, par ceux qu’il croyait " les siens".
Seuls, probablement, peuvent mesurer toute la gravite de cette perte ceux
qui, comme moi, eurent la chance difficile de travailler avec lui. Mais nul
ne restera insensible au destin d’un homme qui, après avoir été le principal
organisateur des combattants de l’intérieur, tombera, en réalité, pour avoir
voulu leur rester fidele.
Militant du MTLD, on l’a dit, et l’un des clandestins de l’Organisation
spéciale (OS), Abane était en prison lorsque éclata l’insurrection du 1er
Novembre. Mais des sa sortie, en 1955, il rejoignit évidemment le FLN où il
joua très vite le rôle principal.
L’organisation du Front, à ce moment-la, était encore embryonnaire. Il y
avait des maquis en Kabylie, dans les Aurès ; dans d autres régions, ils
commençaient de s’étendre. Mais le MNA de Messali Hadj existait aussi et une
grande confusion renait dans beaucoup d’esprits. C est elle qu’Abane
entreprit de faire cesser dès qu’il assuma, à Alger, des responsabilités
politiques.
Je l’ai rencontré pour la première fois en 1955. Il savait le travail
accompli par notre réseau et il me fit demander de le voir. Ce qui se fit
par l’intermédiaire de H didouche, dans une maison de La Casbah. Nous eûmes
alors une très longue conversation au cours de laquelle nous nous heurtâmes
vivement.
Ma conception de la Révolution algérienne, telle que je la lui exposai,
était claire : nous devions rallier au FLN le plus grand nombre possible d’Algériens, d’une part, et d autre part tenter d isoler la grosse
colonisation de la masse des Européens d’Algérie qu’on pouvait, sinon gagner
à notre cause, au moins neutraliser. Il convenait aussi de mener une action
politique conséquente au Maghreb, puis en France et enfin dans le monde.
Abane lui-même avait une autre thèse. Toute action auprès de la communauté
européenne était, à ses yeux, inutile ; et non moins vains les efforts d’explication visant l’opinion française. Une seule chose comptait : le langage des armes.
Nous nous rendîmes compte par la suite qu’il s agissait surtout, de part et
d’autre, d’une différence d’accent. La lutte armée, pour moi, ne se
suffisait pas à elle-même, mais elle était évidemment décisive. Et il était
loin, quant a lui, de négliger la lutte politique. Ainsi naquit entre nous
une grande amitié qui ne cessa de s’approfondir : car nous travaillâmes de
ce jour en liaison très étroite. Il fut, je l’ai dit, en collaboration avec
moi, le grand organisateur du Congres de la Soummam. Et après le Congrès, je
fus, sur sa proposition, adoptée à l’unanimité, le seul membre du CNRA à
participer, à part entière, aux réunions du CCE. J’eus ainsi toute latitude
d’observer comment cet homme, qu’on jugeait parfois, quand on le connaissait
mal, autoritaire et cassant, était en réalité accessible à la discussion si
l’on était capable d’en mener une.
Il n’est pas douteux, cependant, que son action à Alger lui avait valu une
autorité considérable dont certains avaient fini par prendre ombrage. La
question ne se posa guère tant que le CCE resta à Alger, la personnalité d’Abane s’imposant par la force des choses. Elle ne tarda pas à surgir quand
cet organisme dirigeant du Front dut, traqué par les parachutistes, quitter
le territoire national, en été 1957, pour s’installer en Tunisie.
Cette installation même, en fait, fut obscurément la première source du
conflit. Exigée par les circonstances, la " sortie " du CCE n’était vue par
Abane que comme un pis-aller provisoire. Il fallait, pensait-il, revenir en
Algérie le plus rapidement possible afin d’assumer, sur place, la direction
du combat. Les premiers mois passés en Tunisie ne firent que renforcer, chez
lui, cette conviction. Il ne tarda pas à constater, en effet, que la vie à l’extérieur pouvait mener facilement un dirigeant à se couper des réalités de la lutte et à perdre une vision saine des choses, quand elle ne le conduisait pas tout simplement à un mode de vie incompatible avec ses responsabilités.
Il ne manqua pas, dès lors, une occasion de le rappeler, et de fustiger
publiquement l’attitude de certains responsables. Comme il ne mâchait pas
ses mots, il indisposa rapidement ceux qu’il prenait pour cible. Mais son
autorité était telle que nul n’osait l’affronter ouvertement. Arriva ainsi,
un jour, où recevant plusieurs hauts responsables, il entra dans une
violente colère, les menaçant de les dénoncer publiquement. " Puis je
rentrerai en Algérie, ajouta-t-il, pour mener la lutte au milieu des
djounouds et des militants. "
Abane, tous le savaient, était homme à le faire, et une véritable panique s’empara des intéressés. Nul doute qu’il n’en mesura pas l’ampleur : cette
témérité et ce franc-parler allaient précipiter les choses.
A quelque temps de la, en effet, des messages en provenance des services de
liaison du FLN commencèrent à arriver du Maroc. Ils faisaient état de graves
frictions entre le gouvernement marocain et les autorités locales du Front.
On parlait de militants arrêtés, séquestrés, de stocks d’armes saisis, etc.
Au début, Abane n’y attacha pas une importance excessive, laissant à d’autres responsables le soin de régler des différends qu’il pensait mineurs.
Mais, petit à petit, les télégrammes se firent plus pressants. La situation,
disaient-ils, était devenue très grave. Seul le roi Mohamed V, désormais,
pouvait régler le problème. Il y était disposé, mais il tenait à en discuter
directement, au préalable, avec le principal dirigeant du FLN, Abane
Ramdane. Krim, Boussouf et Ben Tobbal intervinrent alors : " Tu dois te
rendre à Rabat ", conseillèrent-ils à Abane.
Abane se laissa convaincre. Une date fut retenue. Quelques jours auparavant,
Boussouf, responsable des liaisons, gagna le Maroc pour préparer l’arrivée
de son compagnon. Et le 22 décembre 1957, Abane, accompagné de Krim Belkacem
et de Mahmoud Cherif, tous deux membres du CCE, s’envolait, à son tour, via
l Espagne.
Sur ce qui suivit, je dispose de trois versions principales. On verra qu’elles coïncident très largement quant aux faits essentiels et même à
beaucoup de détails. Elles ne différent que sur quelques points, et surtout
sur le partage des responsabilités entre les trois grands acteurs du drame :
Belkacem Krim, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Ben Tobbal.
La première version est celle de Me Ahmed Boumendjel, à l’époque l’un des
plus proches collaborateurs d’Abane, qui suivit le développement de la crise
au sein du CCE et fit une enquête personnelle sur ce qui se passa au Maroc
le 22 décembre 1957.
Apres la " sortie " du CCE à l’extérieur, confirme-t-il d’abord, Abane,
effectivement, critiquait de façon ouverte et souvent très dure le
comportement de Krim, Boussouf et Ben Tobbal. Ceux-ci avaient trop tendance,
proclamait-il, a se considérer comme des chefs inamovibles devant échapper à
tout contrôle, alors que leurs " possibilités " politiques eussent du les
incliner à plus de modestie. Cela les amena à se trouver solidaires contre
lui, surtout lorsque Abane les menaça de rentrer à l’intérieur pour les
dénoncer auprès des combattants. De ce jour, ils commencèrent à se réunir
sans lui et même sans qu’il fut informé. Ils cherchaient le moyen de
diminuer son autorité et de l’isoler au sein des cercles dirigeants. Mais la
personnalité d’Abane, son prestige et son autorité rendaient la chose
presque impossible. C’est alors que le complot fut tramé. Les messages
prétendument envoyés du Maroc étaient des faux fabriqués par les services de
Boussouf. Les enlèvements de militants FLN par la police marocaine, les
refus de transit d’armes et les autres difficultés qu’ils montaient en
épingle finirent d’ailleurs par intriguer Boumendjel, alors adjoint d’Abane
au département de l’information.
Pour en avoir le cœur net, il rendit visite à son ami Alami, alors
ambassadeur du Maroc à Tunis, et lui dit sa surprise du comportement
attribué aux autorités marocaines. Alami tomba des nues :
- Je n’ai connaissance d’aucun fait de cet ordre, lui affirma-t-il catégoriquement.
- Pourrait-tu en demander confirmation ? suggéra, pour plus de sureté,
Boumendjel.
Alami adressa un télex a Rabat et reçut immédiatement un démenti formel des
plus hautes autorités marocaines. Boumendjel, de plus en plus méfiant, fit
part de ses craintes à Abane. Mais les services de Boussouf continuant à
adresser au CCE des messages de plus en plus pressants, parlant d’une
situation aggravée et réclamant l’intervention directe d’Abane, celui-ci,
pour éclaircir l’affaire, finit par décider de partir quand même pour le
Maroc. Il pensait que, peut-être grossis, les incidents signalés par les
télégrammes pouvaient avoir un fond de vérité, même si les autorités
marocaines les démentaient officiellement.
Comme il commençait, néanmoins, à perdre un peu confiance en ses trois
collègues du CCE, il convint avec un de ses amis demeuré à Tunis, R. G., de
lui envoyer un message à l’escale de Madrid si quelque chose lui semblait
anormal.
De fait, un message de Madrid parvint à R. G. : selon le code convenu, il
signalait des " choses bizarres " remarquées par Abane avant même qu’il fut
parvenu à destination.
Quelques heures plus tard, l’avion atterrissait au Maroc. Aussitôt Boussouf,
qui l’attendait, mit à exécution la décision prise en commun avec Krim et
Ben Tobbal : Abane, conduit dans une villa, y fut étranglé par des hommes de
main
J’ai demande à Belkacem Krim ce qu’il pouvait répondre à ces accusations. Et
voici, très fidèlement rapportée, la version des faits qu’il m’a donnée :
Abane, dit-il, faisait un " travail fractionnel " et tentait de dresser
aussi bien les maquisards que les militants contre les autres membres du
CCE. Plusieurs démarches furent faites auprès de lui pour le convaincre de
modifier son attitude. En vain : on constata qu’Abane, loin de se modérer,
persistait dans la même voie en aggravant ses attaques.
Nous décidâmes alors
- continue Krim - Ben Tobbal, Boussouf, Mahmoud Cherif, Ouamrane et
moi-même, de le mettre en état d’arrestation en vue de le juger par la
suite.
Cette décision, ai-je demandé, a-t-elle été prise au cours d une réunion
régulière du CCE, en présence des autres membres de cet organisme ?
Non, m’a répondu Krim. Ni Ferhat Abbas, ni Ben Khedda, ni Saad Dahlab, ni
Mehri n’ont été tenus au courant.
A l’aérodrome, raconte donc Krim, Boussouf nous accueillit avec quelques-uns
de ses hommes et, tout aussitôt, me prit par le bras pour m’entrainer à part
un bref instant. A brule-pourpoint, il me dit : " Il n y a pas de prison
assez sure pour garder Abane. J’ai décidé sa liquidation physique. "
Indigne, je refusai, répliquant que ce serait un crime auquel je ne m’associerai jamais. Puis, sur l’aérodrome même, j’informai Mahmoud Cherif
qui, bouleversé, eut la même réaction que moi.
Boussouf, selon Krim, était terriblement surexcité. Il avait les yeux
hagards et ses mains tremblaient : nous ne pouvons plus parler ici, dit-il,
nous reprendrons cette discussion plus tard.
Tous s’engouffrèrent dans les voitures qui les attendaient. Celles-ci
roulèrent assez longuement, avant de pénétrer dans la cour d’une ferme
isolée. Abane, Boussouf, Krim, Mahmoud Cherif et leurs compagnons
descendirent, pénétrèrent dans le bâtiment.
Arrivés dans la première pièce, un groupe d’hommes les attendait. Sitôt
Abane entré, ils se jettent sur lui à six ou sept et le ceinturent. L’un d’eux lui presse de son poignet la pomme d Adam, dans une prise souvent
baptisée " coup dur ". Ils l’entrainent dans une seconde pièce dont la porte
est aussitôt refermée.
Voyant cela, assure Krim, j’eus un mouvement pour aller au secours d’Abane.
Mais Mahmoud Cherif m’arrêta et me prit par le bras en disant à voix basse :
" Si tu bouges, nous y passerons tous. "
Krim n’avait pas d’arme. Mahmoud Cherif non plus. Mais celui-ci mit la main
dans la poche de son veston, pour donner le change aux autres hommes de
Boussouf présents dans la pièce.
De la pièce voisine montaient les râles d’Abane, qu’on étranglait. Puis le
silence se fit. Boussouf revint brusquement et, raconte toujours Krim, " il
avait à ce moment-la la tête d’un monstre ". Il se mit a proférer des
injures et des menaces indirectes contre tous ceux qui voudraient agir un
jour comme l’avait fait Abane. Il allait et venait d’un pas rapide, saccade,
et Krim eut la certitude qu’il se demandait s’il n’allait pas les liquider
eux aussi sur-le-champ.
Au bout d’un moment, néanmoins, Boussouf se calma un peu et donna l’ordre de
repartir. Tous reprirent place dans les voitures, qui partirent en direction
de Tetouan. Mais elles ne tardèrent pas à s’arrêter prés d’une autre villa
du FLN, déserte, comme si, à la dernière minute, Boussouf hésitait encore
sur le sort à réserver à Krim et à Mahmoud Cherif. A l’intérieur, toujours
fébrile, il se remit à arpenter la pièce en grognant des menaces. Et chaque
fois qu’il arrivait devant Krim, il le regardait longuement avant de
reprendre sa marche.
Finalement, le cortège des voitures repartit à nouveau pour retourner, cette
fois, à l’aérodrome, où l’avion était prêt au décollage. Avant d’embarquer,
assure Krim, lui-même et Mahmoud Cherif condamnèrent à nouveau le crime de
Boussouf, lui disant qu’il en porterait seul la responsabilité. Des leur
arrivée à Tunis, les deux hommes informèrent Ben Tobbal, qui cria, lui
aussi, son indignation. Tous trois, néanmoins, décidèrent de garder
provisoirement le silence. Bien entendu, cela ne tarda pas à les mettre
dans une situation délicate. Tout le monde, à commencer par leurs autres
collègues du CCE, réclamait en effet des nouvelles d’Abane. Krim, Ben
Tobbal, et Boussouf, rentres un peu plus tard du Maroc, décidèrent de
répondre qu’il poursuivait une mission délicate au Maroc.
Cela dura plusieurs mois : jusqu’au jour où les trois hommes annoncèrent que
leur compagnon, pris dans un engagement au cours d’une inspection en
Algérie, avait été tué.
Tel est le récit de Krim. Sur les faits essentiels, on le voit, il confirme
entièrement la version d Ahmed Boumendjel. Une seule différence : selon
Krim, il avait été décidé seulement d’emprisonner Abane, non de le tuer.
Mais nul ne peut contester le caractère tout a fait illégal de cette
décision ni l’organisation du guet-apens.
Sur ce point, je dispose de précisions fournies par un collaborateur direct
de Boussouf : Boussouf, dit-il, ‘ informa un jour, en présence de trois de
ses collaborateurs personnels, que la décision de tuer Abane avait été prise
par Krim, Ben Tobbal, Mahmoud Cherif, Ouamrane et lui-même. Et il nous
montra un document en ce sens, portant la signature de ces cinq hommes.
Mais mon interlocuteur précise que rien ne permet d’affirmer l’authenticité
de ce document, montre très rapidement par Boussouf et que personne d’autre
n’a eu entre les mains. Il ajoute qu’à l’arrivée au Maroc Boussouf était
accompagné à l’aérodrome par Abdeljlil Maachou, alors responsable du Maroc
oriental. Mais rien n’autorise à dire qu’il était au courant de l’opération.
Quant au commando de tueurs, à l’intérieur de la ferme, il était dirigé par
un homme de Boussouf, nomme H. P. Mais il est possible que celui-ci, comme
les autres " exécuteurs ", ait ignoré qu’il avait affaire à Abane.
A titre personnel, néanmoins, mon interlocuteur pense que jamais Boussouf n’aurait pris seul
L’initiative d’un tel acte, s’il n’avait eu l’accord
formel, au moins de Krim et Ben Tobbal. Et c’est aussi l’avis d Ahmed
Boumendjel.
Il est vrai, ‘ autre part, qu’à plusieurs reprises Ben Tobbal à reconnu
avoir participé à la décision d’emprisonner Abane mais en ajoutant que, ni
de prés ni de loin, il n’avait envisagé de le tuer : n’ayant appris le crime
qu’au retour du Maroc de Belkacem Krim et de Mahmoud Cherif.
Ouamrane enfin, que j ai questionné moi-même a Tunis, des ma sortie de
prison, m’a donné une version identique : consulté sur le projet d’emprisonnement d’Abane, il avait donné son accord mais il laissait à d’autres l’entière responsabilité du crime. Il me fit même un rapport écrit à ce sujet.

Il importe cependant de ne pas se laisser égarer. Quelle que soit l’atrocitédu crime, le pas décisif a été accompli non lorsque les mains d’un tueur borné se sont refermées sur le cou d’Abane, mais lorsque ses compagnons l’ont attiré dans un guet-apens. Que quatre ou cinq membres du CCE, hors de toute réunion de cet organisme, sans que l’intéressé ait eu la moindre possibilité de s’expliquer, aient " décidé ", à titre personnel, ne fut-ce que l’emprisonnement d’un de leurs pairs, voila le scandale majeur et le crime essentiel.

Or, aucun des cinq responsables ne nie le fait. Il y a plus : si seul
Boussouf s’était rendu coupable du meurtre, pourquoi les autres ne l’ont-ils pas mis en accusation devant le CCE et le CNRA ?

Au lieu de cela, les uns et les autres n’ont eu qu’un seul souci :
dissimuler le forfait. A chaque réunion du CCE, pendant des mois, les
membres non informés de cet organisme, et notamment Ferhat Abbas, relevaient avec stupéfaction l’absence d’Abane et demandaient de ses nouvelles. Chaque fois Krim, Boussouf et Ben Tobbal multipliaient les apaisements, c’est-à-dire les mensonges. Cela, jusqu’à l’aveu final de la mort, masqué par un dernier mensonge.

Une autre conséquence doit être soulignée. C’est de l’assassinat d’Abane que date le pouvoir de fait, au sein du CCE puis du GPRA, du triumvirat Krim,Boussouf, Ben Tobbal.

C’est de ce moment aussi que date, si l’on ose dire, leur seule volonté
commune : celle de ne laisser aucun d’eux prendre le pas sur les deux
autres. Lorsque se posa la question de la présidence du GPRA, Ferhat Abbas,
puis Ben Khedda ne furent désignes qu’à la faveur de cette méfiance
réciproque des membres du triumvirat. Krim, normalement, fut devenu
président. Mais ni Boussouf ni Ben Tobbal ne pouvaient l’accepter. Ainsi se
trouvèrent-ils lies par l’acte qu’ils venaient d’accomplir ou, pour certains peut-être, de tolérer. Et cet aspect politique de l’affaire n’est pas moins grave. Si j’ai choisi aujourd’hui, après mure réflexion, de la soulever, ce n’est pas pour m’ériger en justicier ni pour faire œuvre de vengeance. Bien des pages dramatiques de la Révolution algérienne ont été tournées et celle-ci le sera aussi. Mais elle doit l’être en connaissance de cause. Les militants, les combattants ont droit à la vérité. En la publiant, je rends d’abord hommage à la mémoire d Abane, dont je fus, aux heures tragiques, l’un des compagnons les plus proches. Je veux contribuer ensuite, et surtout, à débarrasser nos murs politiques de pratiques qui ont fait trop de mal.


Extrait de Vérités sur la Révolution algérienne, paru en 1986 aux Editions
Gallimard


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