Le grand silence
par Vincent Boeswillwald
La victoire sans combattre, nouvelle tactique de nos dirigeants, testée et approuvée au Mali. C’est efficace, il faut le reconnaître : l’armée française avance, reprend successivement Konna, Gao et Tombouctou, le pays est pour ainsi dire libéré, les Maliens crient leur reconnaissance, la communauté internationale ne critique pas à défaut de soutenir François Hollande dans l’opération Serval.
Clik here to view.
Dans un mois, nos soldats rentreront au pays. Que laisseront-ils derrière eux ?
La victoire sans bataille, presque sans victime, sans bavure, sans longueur. Didier Bourdon aurait demandé : « ça compte ? ». Après la victoire donc, un grand silence s’empare du Mali. Pas celui des armes qui se sont tues, plutôt celui des armes qui n’ont jamais tiré.
A-t-on jamais vu une guerre comme celle-là ? Chaque libération de ville, jour après jour, a été sans cesse accompagnée du même témoignage : il n’y a pas eu de résistance, il n’y a pas eu de combats, il n’y a pas eu de morts, les islamistes avaient fui avant l’arrivée des Français. Dans moins d’un mois, l’armée est censée retirer ses premières troupes, et le reste formera l’armée malienne. Une armée pour le moment inexistante, qui devra se battre contre un adversaire étrangement silencieux lui aussi.
Les islamistes se taisent, se terrent dans les grottes et le désert du Nord-Mali, région incontrôlable par une armée conventionnelle. Eux aussi on refait la drôle de guerre, celle où on ne se bat pas. Quelques victimes mais pas d’anéantissement, de fuite en fuite ils ont laissé l’armée française occuper le terrain, de la même manière que les Russes attendaient le « Général Hiver » avant de repousser Napoléon. En France, le général hiver s’appelle le « Général Élections ». Lorsqu’il viendra, nos soldats devront être tous rentrés au pays ou dans leurs bases à l’étranger, à l’abri d’éventuels attentats, si choquants pour l’opinion publique, si douloureux pour les familles des victimes, si désastreux pour un sondage de popularité…
Clik here to view.
Qui croit vraiment que les djihadistes sont partis pour de bon ?
Alors la guerre, oui, quand il s’agit de défendre les Droits de l’Homme et de la Démocratie – sur nos six mille ressortissants qui risquaient leur vie à Bamako en revanche, le grand silence s’est encore installé. Mais pas trop longtemps tout de même. Dès qu’une opération traîne en longueur, elle échappe au contrôle des armées conventionnelles, et tournent à l’avantage de ceux, cachés hier dans les montagnes, aujourd’hui dans le désert, qui connaissent le terrain. A se demander si la France a réellement la volonté de détruire les djihadistes ou simplement de les repousser. S’ils recommencent, on y retourne. Les opérations Serval peuvent se succéder longtemps comme ça. Certes, il paraît que l’armée malienne et un contingent africain doit prendre la relève. On en parlait déjà avant la chute de Konna, avec le résultat que l’on sait.
La France court le risque de quitter le Mali alors que son objectif n’a été rempli ni militairement, ni politiquement. Les djihadistes sont repoussés, certes, et après ? Sur cet après, c’est une fois de plus le silence.
Silence assourdissant en vérité, qui devient la marque de fabrique de notre politique étrangère. La France souffre terriblement de n’avoir de vision à long terme, à croire que la culture de l’instantané a aussi pris le pouvoir en politique. Quand une crise se profile on ne parle que des moyens de la résoudre, en général à grand renfort d’humanisme. Quand un autre sujet prend plus d’importance, on oublie le premier. David Beckham, on le saura, a signé au PSG. Au fait, que devient Bachar el-Assad ? Il devait tomber inéluctablement, et puis on s’est rendu compte que ça risquait d’être plus compliqué que prévu. Et puis on s’en est lassé. Et puis ça n’est pas notre affaire après tout. Et puis quoi, David Beckham a signé !
Sur la Syrie qui a fait la Une de nos journaux pendant un an, c’est là encore, le grand silence…