L’Histoire, le devoir de mémoire et la manipulation politique.
La colonisation française en Algérie et la guerre de libération suscitent notamment en Algérie et en France, intérêts et passions compréhensibles et légitimes sans être toujours exemptes d’arrières pensées politiques.
En effet, au gré de considérations politiciennes internes et des relations entre les deux pays, la colonisation et ses affres sont cinquante années plus tard encore instrumentalisées de part et d’autre.
C’est ainsi que L’UMP propose et vote la loi française du 23 février 2005 louant les bienfaits de la colonisation française en Afrique du Nord tandis qu’en Algérie les institutions du pays, le gouvernement, le Parlement, la classe politique, le mouvement associatif avec à sa tête les organisations dites de la famille révolutionnaire - ONM, organisations des chouhada - attendent le signal du président Bouteflika, hospitalisé en France à cette date, pour réagir!
Puis, sous la pression de l’opposition, en janvier 2006, le président Chirac abroge l’article 4 qui enjoignait aux enseignants de faire état du rôle positif de la colonisation française.
En réponse à cette loi, et pour des raisons de leadership, 125 députés algériens déposent en février 2009 une proposition de loi portant sur la criminalisation du colonialisme français devant le bureau de l'Assemblée algérienne. Mais « La famille révolutionnaire »se divise sur la nécessité ou non de criminaliser le colonialisme français. Quand le patron de l’ONM (Organisation nationale des moudjahidine) dit oui, leur ministre dit non. Mohamed Chérif Abbas, ministre des moudjahidine (anciens combattants), se déclare « peu enthousiaste » quant à l'adoption d'un éventuel projet de loi qui criminaliserait le colonialisme français ».
Après vingt mois de tractations, les autorités algériennes annoncent l'abandon de cette proposition de loi par la voie du président de l'assemblée nationale. Avant que le ministre algérien de l’Intérieur ne juge que « le projet de loi ne repose pas sur un fondement juridique »
Certes, la colonisation, son lot de souffrances et d’injustices sont encore vives dans la mémoire des algériens : les lois discriminatoires de l’indigénat, la pauvreté des campagnes dénoncées par Camus, les déplacements de populations……et puis les atrocités de la guerre, la torture, les morts ….
Pourtant, une autre mémoire existe aussi .Cette période a également été remplie de grandes et belles actions que nous devons rappeler, saluer, prendre en exemple pour enfin construire le rapprochement dans le respect des deux pays. Cette mémoire ne doit pas être occultée .Nous devons au contraire la raviver pour construire l’avenir et barrer la route à tous ceux qui en France et en Algérie instrumentalisent les réels drames de la colonisation et de la guerre d’Algérie pour leurs propres intérêts.
Et en voici quelques exemples.
« A partir de 1955, se forme dans la presse de gauche un front collectif du refus (l’Express, France -Observateur, Témoignage Chrétien, la revue Esprit……………» En dépit des interdictions et tracasseries judiciaires, les Editions de minuit publient entre 1957 et 1962, vingt- trois livres qui dénoncent la guerre d’Algérie .La librairie « la joie de lire» fondée et dirigée par François Maspero les diffusera.
L’historien engagé Pierre Vidal-Naquet rédige «l’affaire Audin» qui donnera naissance au comité Audin composé de nombreux universitaires qui dénoncent la torture en Algérie .Puis à la date symbolique du 18 juin 1959 est publiée « la gangrène »(livre blanc des témoignages et plaintes ) pour dénoncer la torture à Paris et toucher l’opinion internationale
Au début de l’année 1957, les éditions du Seuil font apparaître « contre la torture » de Pierre Henri Simon et le 18 février 1958 est publiée « la question » d’Henri Alleg à propos de laquelle Sartre dira : « Avec la Question, tout change : Alleg nous épargne le désespoir et la honte .La Question n’est pas inhumaine, c’est tout simplement un crime ignoble et crapuleux commis par des hommes contre des hommes et que les autres hommes peuvent et doivent réprimer »
D’autres cultivent cette belle mémoire .En 2007, « La Question »d’Henri Alleg est rééditée à l‘initiative de l’université du Nebraska Lincoln et préfacée par le coauteur de Guantanamo .Elle apparaît comme «une évidente boussole morale et politique »
Le droit de désobéissance, à l’insoumission et à la désertion sont ouvertement revendiqués dans le manifeste des 121 ou déclaration au droit à l’insoumission signée par 121 intellectuels le 06 septembre 1960.Le manifeste se termine sur ces trois propositions finales :
- Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien.
- Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d'apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français.
- La cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres.
La déclaration est imprimée à l’occasion du procès du réseau Jeanson (les porteurs de valises) .Selon le PDG des Editions de minuit « la parole devient acte ».
A toutes ces courageuses actions s’ajoute selon Jean Ferrat, «La petite voix qui dit non »des jeunes appelés peu audible pendant la guerre mais qui doit être entendue aujourd’hui. Les témoignages existent .Alban Liechi, Robert Bonnaud, Lucien Fontanel et tant d’autres qui ont refusé de servir en Algérie.
Alors selon Belaid Abane, le neveu de Abane Ramdane l’architecte de la révolution. « Ce dont il s’agit aujourd’hui, c’est de tourner une bonne fois pour toutes, réellement, cette page sinistre de l’histoire franco-algérienne .Mais à quelles conditions ? Il ne s’agit pas pour l’état français de se livrer à un quelconque exercice d’auto flagellation .L’Etat de guerre étant reconnu, il lui reste à faire, non pas un acte de contrition que personne au demeurant ne réclame, mais le geste symbolique de reconnaître les torts faits à un peuple algérien impatient d’ouvrir une nouvelle page dans ses relations avec cette France à la fois si proche et si lointaine »
Le 20 décembre 2012 le président Français François Hollande prononce devant le Parlement Algérien le discours ci- après:
Je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligé au peuple algérien », a-t-il déclaré devant les ministres et les députés algériens.
« L’amitié doit s’appuyer sur la vérité. Pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal. Je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien .Parmi ces souffrances, il y a les massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata. La vérité doit être dite sur la Guerre d’Algérie. Nous avons du respect pour les mémoires, toutes les mémoires, établir les vérités est nécessaire, rien ne se construit sur le déni. La vérité rassemble et ne divise pas… L’histoire tragique et douloureuse doit être dite. Et je vais la dire ici»
A consulter :
-Tinfouchy (Algérie 1958-1960) de Nathalie Massou –Fontenel et Abdenour Si Hadj Mohand
-La Question de Henri Alleg
-le Droit de Désobéissance de Anne Simonin
-le Refus de Alban Liechti