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L'histoire française américaine

 
 
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© Photo RMN-Grand Palais (MuCEM) / Jean-Gilles Berizzi

AGRANDISSEMENT - ZOOM

Titre : Vue de la Nouvelle Cayenne.

Date de création : 1762
Dimensions : Hauteur 32.4 cm - Largeur 49.4 cm
Technique et autres indications : Estampe coloriée, taille douce, vergé.
Site de production : Imprimerie Beauvais
Le débarquement des François pour l'établissement de la nouvelle colonie, dans le port de Cayenne ou la France équinoxiale
Lieu de Conservation : MuCEM (Marseille) ;site web
Contact copyright : Agence photographique de la Réunion des musées nationaux. 254/256 rue de Bercy 75577 Paris CEDEX 12. Courriel : photo@rmn.fr ; site web
Référence de l'image : 03-012047 / inv.43.16.198D

  Contexte historique

Kourou, ou la revanche contre les Anglais 

En 1763, les Français perdent la guerre de Sept ans (1756-1763), une première guerre mondiale puisque le théâtre des opérations militaires a lieu non seulement en Europe, mais aussi dans les colonies d’Amérique, et en Inde. La France perd une très large partie de son territoire en Amérique du nord et les comptoirs qu’elle conserve au Canada ne peuvent être fortifiés. Le traité de Paris qui est signé le 10 février 1763 consacre ainsi la victoire de l’Angleterre. En France, certains pensent à l’instar de Voltaire que le Canada ne représente quequelques arpents de neige.

En 1763, est donc lancée l’expédition de Kourou, revanche qui se veut magistrale d’une colonie de peuplement, sans esclavage, et comptant autant de colons que New York d’habitants. 

Parce que cette expédition se veut une revanche politique, elle fait l’objet de multiples gravures, et d’un tableau destiné à montrer la réussite de cette expédition (aujourd’hui conservé au musée d’Aquitaine à Bordeaux). Les multiples estampes colorées produites pour l’occasion présente un même thème, un débarquement idéal. Elles ont circulé en France, à Paris, parmi l’aristocratie et la bourgeoisie comme une illustration de la réussite de l’entreprise. Toutes représentent donc des navires à l’horizon en bordure littorale, et des colons, hommes et femmes, qui se promènent sur des rives. Les vêtements sont européens, les paysages ne laissent pas penser à la nature luxuriante des pays équatoriaux. Les images sont produites en France, par des artistes n’ayant ni description précise des rives ou des éléments réels du débarquement. Elles circulent systématiquement à partir de l’année 1763.

Le tableau, une huile sur toile de belles dimensions, est en revanche le seul tableau connu qui mette en scène le gouverneur de l’expédition le chevalier Turgot surnommé « Le Borgne », frère ainé de l’intendant du Limousin, et dont le séjour à Cayenne n’excède pas quelques mois. L’auteur du tableau est anonyme. Turgot est représenté sur la place royale de Cayenne, au milieu de naturels et de la société de la colonie, recevant les différents hommages, dans une cérémonie classique de la société d’Ancien régime. Le terme « offrandes » est intéressant pour marquer un contexte colonial.

L’enjeu est donc une production politique, tant pour les élites françaises comme une publicité à la décision prise, que pour les Anglais qui ont ici une idée précise de la réponse que tente le gouvernement français au fiasco de la guerre de Sept ans. Quant au tableau, il n’existe pas de trace pour connaître qui est l’auteur de cette commande. Est-ce une volonté du pouvoir ?

  Analyse des images

Réalité ?

Ces images n’ont cependant aucun caractère réel. 
En ce qui concerne les gravures, les vêtements ne sont pas tout à fait ceux que l’on porte aux colonies. Ils sont particulièrement mal adaptés à un climat équatorial, car Cayenne est par exemple situé à 4° nord de l’équateur. Deuxièmement, il n’existe pas de rives et de cours d’eau que l’on pourrait représenter ainsi. Proche de l’embouchure de l’Amazone les eaux sont de couleur marron, la rivière Kourou par exemple se jette de manière tranchée dans l’océan atlantique. Enfin, les navires en raison de la faiblesse du tirant d’eau mouillent au large de Kourou, aux îles du Diable (elles ne deviennent îles du salut qu’après l’expédition).

Le tableau peint pour l’expédition a en revanche plus de matériaux « réalistes ». En effet, il représente l’arrivée du gouverneur Etienne-François Turgot, (plus d’un an après l’intendant dans les faits). On distingue nettement sur la gauche l’église des jésuites, à l’arrière plan « le palais » de la congrégation, et sur la droite quasi perpendiculaire l’hôtel du gouverneur. De même sont bien représentés les fossés d’une ville dont les fortifications ont été dessinées par Vauban. 
Plus étonnant à l’arrière plan du tableau cette croix qui s’élève alors que Choiseul vient de prononcer l’expulsion des Jésuites du royaume (1763). Là aussi, on peut s’interroger sur les intentions de l’artiste entre l’importance politique d’un gouverneur dans cette colonie, et la réalité d’une ville, Cayenne, qui n’est pas le siège de la nouvelle colonie (Kourou à trente kilomètres au nord) et symbolise au contraire toutes les imperfections des colonies (corruption, vice, esclavage) avec lesquels le gouvernement a voulu rompre. Là aussi, on peut s’interroger sur les conditions de production de ce tableau

Les évènements liés au thème de ces images sont faux. Le débarquement se fait dans la précipitation à la saison des pluies, dans la désorganisation. L’arrivée de Turgot plus d’un an après (décembre 1764) l’est sur les ordres du duc de Choiseul qui entend comprendre ce qui se passe d’après les lettres alarmistes de l’intendant, et sauver ce qui peut l’être. Or c’est une terrible épidémie qui sévit à Cayenne et dans toute la Guyane à cette époque là. S’ensuit le risque d’une affaire d’Etat pour le pouvoir en place, et particulièrement pour le duc de Choiseul dont la position est menacée.

  Interprétation

La propagande de Kourou

L’expédition de Kourou fut un des évènements importants de la fin du règne de Louis XV. Les suites judiciaires de l’entreprise dont le bras de fer entre le Parlement et le roi témoignent, ont lieu dans un moment politique de reprise en main du pouvoir (discours de flagellation de 1766). Seuls la dissolution des parlements, et la mort de la reine freinent ce qui commence d’être une « affaire » en 1768. Kourou, garde alors une mémoire importante pendant soixante dix ans.

Sous la Révolution française, on y envoie des prêtres réfractaires, Collot d’Herbois, qui croisent les derniers survivants et en font l’écho. En 1840 lorsque l’on réfléchit à la constitution des bagnes en Guyane, l’histoire de Kourou ressurgit. Il faut alors réécrire l’histoire de ce fiasco politique afin que la déportation ou la transportation des bagnards n’apparaissent pas comme une condamnation à mort. De fait, Kourou souffrira de cette réécriture de l’Histoire, à n’être qu’un épiphénomène. En réalité, il s’agissait d’une vaste entreprise qui marquait une première pour le gouvernement une projection « impériale » et une maîtrise géopolitique d’un territoire.

Auteur : Marion GODFROY

 

Bibliographie

    • GODFROY Marion, Kourou 1763 – Le dernier rêve de l’Amérique française, Vendémiaire, 2011.
    • GODFROY Marion, « La guerre de Sept ans et ses conséquences atlantiques: Kourou ou l’invention d’un nouveau système colonial », in French Historical Studies, (n°32-2009).
    • GODFROY Marion, « Passengers to the West – de Coblenz à Kourou : recrutements et stratégies d’une migration transcontinentale et transatlantique en 1763 », in Annales de démographie historique, à paraître.
    • BOURGEOIS DE BOYNES Pierre-Etienne, Journal 1765-1766 inédit suivi du mémoire remis par le duc de Choiseul, Honoré Champion, 2008..

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