Revenons au récit que nous fait Fellahi Youcef,sur les circonstances de la mort de Amar Ait Cheikh :
« Le jour de sa mort, Amar Ait Cheikh était poursuivi de nuit par les forces françaises à partir du village de Sidi Ali Ouyahia, d’où elles avaient entrepris un ratissage sur toute la région des Ittourrar en allant vers les Imessouhals. A son arrivée au village, à l'aube, Amar Ait cheikh est venu voir mon père de qui il sollicita un moussebel, pour se faire guider dans la région. Mon père lui répondit que tous les moussebels étaient sortis à cette heure-ci. Il lui demanda alors de lui indiquer la forêt la plus proche du village. A cet effet, mon père s’en alla réveiller Idir Ait larbi. Amar Ait Cheikh lui fit part de son inquiétude en ces termes, quant au choix de l’accompagnateur proposé :
" Cette personne est jeune, nous avions été poursuivis par les soldats français. Ils ne sont donc pas loin et ils risquent de le capturer vivant".
Quittant son interlocuteur, mon père décida alors d'aller réveiller El Hadj Omar pour lui demander d'accompagner Amar Ait Cheikh à la forêt dite Ahriq Ttejmaath, littéralement la forêt de la djemaa, située à proximité du village. El Hadj Omar acquiesça sans commentaire. En fait, Amar Ait Cheikh était accompagné d'un autre maquisard Chargé de liaison. Les deux hommes devaient rejoindre le village Tanalt où ils avaient rendez-vous pour une réunion importante. Il était 10 heures du matin quand Amar Ait Cheikh ordonna à l’agent de liaison de rejoindre Tanalt. Il devait le rejoindre dès que les soldats français auront quitté les lieux. l’agent missionné avait pris le chemin de Tanalt, quant à Amar Ait Cheikh et son accompagnateur Zi Omar, ils se dirigèrent vers la forêt Ahriq TTjemaath. Zi Omar est revenu au village après sa mission accomplie. ZI Omar était persuadé que les soldats français étaient déjà au village. En rentrant chez lui, il changea de vêtements.
Au premier passage des soldats, Amar Ait Cheikh n'avait pas été découvert, car bien camouflé dans sa cache. Croyant que les soldats avaient quitté la région, Amar Ait Cheikh se découvrit en quittant son refuge pour observer les environs dans le but d’entamer un changement de position. Il fut aperçu par les soldats qui étaient postés sur le flanc de colline qui lui faisaient face. ils se mirent à deverser sur lui un déluge de feu. Les habitants du village Ibelkissen qui observaient la scène à quelques centaines de mètres, avaient deviné qu’un maquisard serait repéré dans ce maquis dense, connu pour être le refuge de prédilection des Moudjahidines et que, vu l’intensité des tirs du fusil mitrailleur, la cible ne pouvait s’en échapper. En effet, Les balles qui l'auraient atteint sans le tuer sur le coup ne lui laissèrent aucune chance. Amar Ait Cheikh succombera à ses blessures quelque temps après. Nous étions le 11 Aout 1956, à 11 heures du matin.
Mon père qui avait entendu les rafales de fusil mitrailleur et les coups de feu de toutes sortes d'armes avait compris qu'il ne pouvait s’agir que de la découverte de la cache de Amar Ait Cheikh par les soldats français qui le pourchassaient depuis des heures.
La deuxième vague de soldats qui avaient déjà traversé le village, alla camper sous le village.
Après quoi, les soldats entrèrent dans les maisons du village, en commençant par la maison située à l'extrémité sud appartenant à Dehbia Ait El Mouhoub où ils se livrèrent à un massacre systématique de la population, à coup de pieds, de poings et de crosses. On entendait fuser des cris et des hurlements, des pleurs d'enfants et de femmes. Mon père réussit à s'exfiltrer de cette cohue. Il alla vers les soldats qui avaient auparavant procédé à la fouille des premières maisons, avant l'attaque et qui étaient postés au dessus du village. intrigué, un soldat vint à sa rencontre pour lui demander:
- que cherchez-vous, vieillard?
- je veux voir votre chef, répondit mon père en français
- tu veux absolument le voir? Questionna le soldat.
- oui, je dois le voir, lui répondit-il d’un ton sec trahissant sa colère et sa détermination.
Sur ce, le soldat quitta mon père pour aller conférer avec son capitaine. Il revint presque aussitôt, accompagné de son chef, le capitaine qui s’empressa à son tour de questionner mon père:
- Que veux-tu vieux?
Mon père lui répondit en ces termes :
- J'avais une haute idée de la France, moi qui ai fait mes classes dans l'armée française. Je pensais que les soldats français, pour en avoir fait partie, étaient propres. Monsieur, sachez que des militaires sont entrés par l'extrémité sud du village et se sont adonnés à un massacre systématique d’enfants et de femmes !
- êtes-vous sûrs qu'il s'agit de mes soldats? interrogea le capitaine. Sont-ils équipés de foulard jaune? ajouta l'officier militaire français.
- Non! répondit mon père au capitaine, ceux qui étaient entrés par le bas du village, portaient des foulards rouge à l'épaule.
Le capitaine ordonna à son subalterne d'aller faire sortir des maisons les soldats intrus; en leur signifiant que ce village relève de l’autorité de la 1ére compagnie de Agouni Adella et non de celle de la 3ème d’Ait Hichem. De plus, faites leur savoir que nous avons fouillé toutes les maisons, nous n’avons trouvé que des civils, et donc il n’y’a plus rien d’autres à faire ici.
Accompagné de mon père, Le soldat désigné par le capitaine pour mettre fin à ces exactions se dirigea vers l'endroit d'où continuaient de fuser encore les cris. En arrivant sur les lieux, il donna des coups de semonce sur les murs pour attirer l'attention des soldats pris dans leur folie répressive. Les soldats se mirent à sortir un par un, frustrés par les ordres leur intimant de cesser leur défoulement sauvage sur des êtres humains vulnérables et sans défense.
Le capitaine ordonna à tous les soldats de quitter le village:
-vous allez quitter ce village immédiatement. Les soldats de ma compagnie ont déjà passé au peigne fin toutes les mechtas. Nous sommes là ! Vous, n'avez donc rien à y faire!
Un soldat de la 3éme répondit :
- Nous ne sommes pas au courant, Capitaine.
- Qu'est ce que c'est que tous ces crépitements d'armes que nous avons entendu toute à l'heure dans la forêt, à proximité du village, vous tiriez sur quoi? Chercha à s’informer le capitaine de la 1eme compagnie
- Nous avions tiré sur un individu que nous cherchons depuis un bon moment, et que l’on n’arrive pas retrouver. Il nous a visé avec une rafale de mitraillette et a réussi à couper la ceinture de la mitraillette d'un de nos soldats, heureusement sans le blesser. Un véritable miracle que notre soldat en soit sorti indemne!
Mon père qui assistait à cette discussion entre soldats de la 1ère et 3éme compagnie des chasseurs alpins avait deviné que le fellagha en question ne pouvait être qu’Amar Ait Cheikh, sachant qu'il ne pouvait que se trouver à cet endroit et à cet instant précis de la fusillade intense qui venait de se produire....
extrait du livre :
Les Maquisards de la Première Heure
de
Si Hadj Mohand Abdenour