Destitution du chef de l’Etat : le Sénat va finir le travail
Parfois, la traduction effective d’un texte prend du temps. C’est le cas avec la réforme du statut juridique du chef de l’Etat. Il s’agit de l’article 68 de la Constitution. Il prévoit que le Parlement peut destituer le président de la République en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Une procédure qui met fin à l’ancienne Haute cour de justice. Mais depuis la réforme constitutionnelle de février 2007, l’article 68 ne pouvait entrer en vigueur faute de loi organique pour l’appliquer. Bientôt, ce sera chose faite grâce à un vote du Sénat la semaine prochaine.
Impeachment à la française
Concrètement, le Président pourra être destitué s’il « viole gravement la Constitution. Par exemple s’il refuse d’appliquer les lois. Ou pour des événements de sa vie privée : s’il tue quelqu’un, commet un acte qui est un délit ou un crime pénal important », explique le sénateur UMP Hugues Portelli, rapporteur du texte et professeur de droit (voir la vidéo).
Le divorce pour faute impossible pour le Président
En raison de l’article 67 de la Constitution qui protège le Président de toute procédure pénale ou civile, le chef de l’Etat ne peut divorcer que par consentement mutuel. « S’il était marié, son épouse ne pourrait pas demander le divorce pour faute », souligne le sénateur UMP Hugues Portelli. L’article 67 remonte à la réforme constitutionnelle de février 2007, sous Jacques Chirac. Constatation du sénateur : « Ça remonte à une époque où le Président n’avait pas la même vie… ni la même épouse ! »
Pour destituer le chef de l’Etat, il faudra d’abord que l’Assemblée comme le Sénat vote à la majorité des 2/3 une résolution de destitution, puis que le Congrès, « réuni sous le vocable de Haute cour », vote la destitution, là encore à la majorité des 2/3. Soit un nombre de parlementaire extrêmement difficile à réunir.
Il s’agit d’une sorte d’impeachment à la française, mais avec un statut très exceptionnel. Et à la différence des Etats-Unis, où la procédure implique une dimension judiciaire avec le président de la Cour suprême, la procédure est ici uniquement politique.
Affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris
L’histoire remonte… à la campagne présidentielle de 2002. Jacques Chirac, mis en cause dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, promet une réflexion sur le statut pénal du chef de l’Etat. Après sa réélection, il demande à un comité d’experts, présidé par Pierre Avril, de plancher sur le sujet.
Il en résulte un projet de loi organique en 2003. Il ne sera voté par le Congrès qu’en février 2007 (voir le compte rendu). Mais une fois Nicolas Sarkozy élu, l’application de l’article 68 ne vient pas. Il faut attendre 2009 pour que le sénateur PS François Patriat prenne une initiative et dépose, avec Robert Badinter, une proposition de loi sur l’application de l’article 68. Sur le coup, la droite ne suit pas. Ce n’est qu’en 2011 que le Sénat examine et vote le texte. Entre temps, la Haute assemblée est passée à gauche. « Du coup, le gouvernement s’est réveillé », se souvient Hugues Portelli.
La réforme du statut pénal du Président aux oubliettes
Dans son engagement de campagne numéro 47, François Hollande promettait la réforme du statut pénal du chef de l’Etat, à ne pas confondre avec la procédure de destitution qui va être votée. Il souhaitait revoir l’article 67 de la Constitution sur l’inviolabilité du chef de l’Etat qui le préserve de toute poursuite judicaire pendant l’exercice de son mandat. Dans son projet de réforme constitutionnelle, présenté en 2013, François Hollande voulait au moins réduire la portée de cette protection. Mais faute de majorité des 3/5 au Congrès nécessaire pour adopter une réforme de la Constitution, l’exécutif à renoncer.
Parcours laborieux
Le gouvernement Fillon inscrit alors à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale un projet de loi similaire. Il est adopté par les députés en février 2012. Depuis… rien. Le gouvernement de François Hollande, ni le groupe PS du Sénat, n’ont jugé utile d’inscrire à l’ordre du jour du Sénat le projet de loi, le privant d’adoption. A croire que les Présidents ne sont pas pressés d’appliquer cette réforme.
« Il y a de bonnes chances pour que ça n’arrive jamais »
Depuis, le Sénat est repassé à droite, le 28 septembre dernier. La nouvelle majorité a décidé de terminer la procédure. Le groupe UMP a donc inscrit dans sa niche parlementaire le texte. Et gauche comme droite sont aujourd’hui sur la même longueur d’ondes. Ce mardi matin, la commission des lois du Sénat a adopté à l’unanimité le rapport d’Hugues Portelli sur le projet de loi (voir le texte sur le site du Sénat). Il devrait en être de même mardi soir prochain, lors de son examen en séance. L’objectif est de voter le texte « conforme », soit dans les mêmes termes qu’à l’Assemblée, ce qui permettra l’adoption définitive du projet de loi.
Reste que les cas qui pourraient entraîner la destitution du chef de l’Etat sont très peu susceptibles d’arriver. « Il y a de bonnes chances pour que ça n’arrive jamais », reconnaît Hugues Portelli, « mais bon, il fallait quand même prévoir quelque chose ». Au cas où…