Simone était cette femme qui se situait au carrefour des civilisations, entre l’occident et la société kabyle, un trait d'union entre la France et l'Algérie. Entre la société développée et les tribus « indigènes » très conservatrices.
En propageant autour d'elle des objets et usages de la civilisation du roumi, cela ne l'empêchait pas pourtant de faire l'apprentissage de la primitivité des gestes quotidiens des villageois kabyles. Elle avait a son arrivée au village, déjà introduit la radio TSF, qui servait a distraire tout le monde pendant la journée. Un peu comme le véhicule automobile de marque Vedette de son mari, qui servait de jouet aux enfants du quartier. Bien sur ! Simone avait tout d'une française accomplie, un exemple même, bien façonnée, émancipée, cultivée, intelligente, communicative. En plus, elle était d’une modestie exemplaire. Dans ce village des ténèbres, elle continuait a mener une vie spirituelle comparable à celle de ses parents qu’elle avait laissés la bas en Métropole, pour rejoindre son amour voyageur. Ourabah entrainé dans le tourbillon de la Révolution algérienne, devait quitter son commerce florescent en France, piégé par ses proches qui lui ont fait miroiter le paradis retrouvé, ou le remords inexpugnable d'abandonner les siens a la mort qui commençait a planer déja, comme un rapace sur le pays a cause de la guerre. Ils ont usé de tous les arguments et subterfuges du cœur, psychologiques et même superstitieux pour le convaincre que sa présence en Algérie était devenue indispensable. « Tu dois être auprès des tiens. Tu ne peux abandonner la terre de tes ailleuls, pour quelque motif que ce soit! ». Cette prière, du reste, disons-le, est dite a tous les émigrés quand les autochtones veulent faire pression sur les absents du pays. Les Kabyles ont ce-ci de particulier : ils préviennent les évènements, mais s'en engouffrent en se résignant dans le mektoub. Une sorte de fatalisme imparable que les hommes libres acceptent volontiers, comme leur refoulement au cœur des entrailles de ces mamelons et oueds isolés du reste du monde. C'est le destin ! disent-ils . Ourabah lui aussi, obéit a son instinct de montagnard kabyle très ancré a ces mille et un mamelons, a ces profondes vallées sombres et fortement boisées, protégés par ses saints gardiens. Malgré son intégration facile a la société moderne, Ourabah n'échappa pas a cette main invisible et imparable qui le pousse à revenir au pays des Ittourars a cause de la guerre qui s'installe comme un charognard pour happer sa proie. Il dut, sans aucun doute, subir l'épreuve de la confrontation avec son épouse Roumie, en lui annonçant son retour définitif au pays, de façon irrévocable. la formule est connue, invariable, je dirais même universelle «Femme! Vois-tu? Je dois repartir au pays de mes ancêtres. C’est indiscutable. Tu as le choix, entre venir avec moi, et rester dans le pays de tiens ». C'est dire, quand le destin frappe comme un couperet, les époux sont renvoyés chacun a sa conscience individuelle, a ses responsabilités personnelles, a ses origines, quand l'amour a rassemblé a l'union sacrée, deux êtres issus de religions, d'origines, de pays différents. Le couple subit l'épreuve de la désagrégation. Quant aux enfants, c’est le plus fort, le plus servi par les circonstances, les rapports de force qui triomphent pour s'octroyer le droit de garde. Pour l'heure Ourabah et Simone sont au stade de la discussion :
- " Pour moi, ce n'est pas aussi simple que tu le crois, chéri, répondit Simone, visiblement abattue d'entendre cette nouvelle. Une nouvelle qui va chambouler toute son existence. Un sort contre lequel, elle ne pouvait influer.
- La décision est irrévocable, je dois rejoindre la Kabylie de mes aïeuls, continue Ourabah sans même remarquer la mine affligée de son épouse. Il a déjà l'esprit et le regard sur les hautes cimes du Djurdjura.
- Et les enfants, y as–tu pensé un instant ?
- C’est réfléchi, je les prends avec moi. Dans le cas ou tu ne veux pas nous accompagner. Ourabah, n'avait rien perdu de son caractère kabyle, fier et indomptable, a la limite de la misogynie ou la femme devient une quantité infiniment insignifiante quand il s'agit d'affronter le destin ou se mêlent sacré droit et sacré gauche de l'homme historiquement déterminé comme un vrai amazigh.
- Dans ce cas je n'ai aucun choix.
- Le destin a frappé à notre porte, nous devons nous y plier
- Oui, mais, as-tu pensé un seul instant a moi? Une étrangère au milieu d'un peuple qui ne me comprendra jamais, surtout depuis que la France, pays de mes parents, est devenue pour ces kabyles l'ennemi envahisseur
- Il n'appartient qu’à toi de décider. Je ne veux pas te forcer la main. C'est une décision qui te concerne personnellement dans ce cas.
- Mais, il y a plusieurs solutions qui peuvent être envisagées.
- Pour moi, il n y en a qu’une. En dehors celle que je viens de te dire, c'est de la fiction.
Constatant la ferme intention de son mari de quitter la France, Simone se résigna a le suivre. Au fond d'elle, elle savait que rien ne pouvait les séparer. Pas méme la guerre. Elle ne pouvait laisser s'échapper bétement son amour et surtout ses charmants enfants qu'elle adorait plus que tout au monde. Simone a fini donc pas se plier , elle aussi, au destin kabyle. Elle quittera la France... pour ne plus revenir. En prenant la décision de suivre leur étoile, ils ne savaient pas qu'un événement exceptionnel venait de se produire dans leur existence : leur sort est désormais ficelé.
Un monde inconnu, s'ouvre devant le couple Ourabah-Simone. Un monde semé de morts, de torture, de pleurs et de privations. Une vie infernale ou la vie d'un etre humain est suspendu aux lèvres d'un militaire FSE ou FSNA ou celle d'un Fellagha. La guerre qui s,installe dans la durée aura tout le temps de happer sa victime.
Si pour Ourabah, les choses allaient de soi, pour un kabyle des souffrances, "Elamhaine", par contre le sort de Simone et de ses trois enfants qui vient d’être tracé a l'encre indélébile, ne sommes-nous pas en droit , au risque de blasphémer de se questionner : Quel crime avaient-ils fait pour mériter de vivre cet enfer!?
les strateges et foudres de guerre français ne le savaient-ils donc pas ? nos maquisards s'en sont-ils émus quelque peu? De quel coté de la barrière se situe donc le crime contre les enfants? Pour l'heure une seule réponse me trotte dans la téte : Quelle connerie la guerre! c'est elle que je condamne.