L’affaire d’Azrou
Agissant sur renseignements, les forces françaises tendent une embuscade a l’entrée de « la maison du refuge », lieu de rencontres des maquisards, des moussebelines et de leurs soutiens civils, au cœur même du village de Azrou, sur le flanc nord du Djurdjura, a quelques centaines de mètres seulement du pic du Zénith, Azrou Net’hor.
A leur arrivée, juste au moment ou le soleil entamait sa plongée derrière le massif du Djurdjura sur fond d’un horizon phosphorescent, les djounouds, attendus de pieds fermes, furent accueillis par de violentes rafales de mitraillettes par les soldats français. Plusieurs djounouds tombèrent sans avoir eu le temps de réagir au feu nourri des assaillants.
Pour les chasseurs alpins, le premier objectif était atteint : la découverte et la destruction d’une structure de base de la logistique du FLN.
Mais, dans cette lutte implacable entre l’occupant et la rébellion, la spirale de la violence ne tardera pas à se manifester. Après cette embuscade meurtrière, des informations circulaient sur ceux, les personnes civiles locales, un homme et sa fille, qui étaient responsables de cette trahison à l’ origine du massacre de quelques combattants de la résistance.
« Comme mesure prise, nous avions décidé d’arrêter ces deux comparses, raconte Nait Baha Mouloud, qui a fait partie du groupe chargé de juger et d’exécuter les présumés traitres. Nous nous sommes alors déplacés au village de Zoubga ou habitaient ces deux indicateurs, pour procéder a leur arrestation.
Munis de nos deux prisonniers, nous nous sommes dirigés vers un lieu isolé, loin du regard des habitants et a l’abri de l’observation des camps des chasseurs alpins, pour décider de leur sort. Arrivés a « Ighzer Bouaghyoul », littéralement Oued de l’âne, immediatement a la sortie ouest du village de Zoubga, nous primes la décision de répartir les taches. Moi, accompagné de la jeune fille, je devais précéder les autres qui devaient se charger du père. Pour passer a l’exécution de notre plan, le chef de groupe ordonna ce qui suit en s’adressant à moi :
« Toi, tu dois prendre en main la femme. Vous prenez immédiatement la direction du village Ait Larbi. Quant a moi et le reste du groupe ainsi que prisonnier, nous devons temporiser un instant ici car, nous avons quelques questions à lui poser. Rendez- vous donc dans quelques instants au lieu dit « abri détruit », a contre bas du village Ait Larbi
« Je pris le chemin illico presto, accompagné de la femme en direction de l’endroit convenu. Quelques minutes de marche, hors de la vue du groupe qui accompagnait le prisonnier, j’entendis une rafale déchirer le silence de la nuit. L’idée qui m’était venue spontanément à l’esprit est ne souffre d’aucune équivoque : mes compagnons venaient d’exécuter le prisonnier. La fille qui m’accompagnait, tétanisée par le bruit de l’unique rafle, brève mais assourdissante, parvenue a nos oreilles ne risqua aucune question, sans doute, me sachant armée, elle pouvait a tout moment subir le même sort. Peut-être aussi qu’elle ne s’était douté de rien.
Je continuais mon chemin, toujours accompagné de la femme, jusqu’a parvenir au lieu de rendez-vous, une ancienne casemate, détruite par les forces coloniales, désaffectée. Quelques minutes après, le reste du groupe nous rejoignit mais sans le prisonnier.
En quelques minutes, un simulacre de jugement sera improvisé, et une sorte de tribunal d’exception fut constitué pour la circonstance, pour juger la femme prisonnière. Un des djounouds l’invita à choisir son défenseur parmi les membres du groupe. Elle n’hésita pas à me mander. J’acceptai cette charge en mon âme et conscience, avec l’intention de défendre l’accusée selon ma propre conception de la justice et surtout compte tenu des conditions d’asservissement générées par la domination coloniale auxquelles se trouvent être acculée la population algérienne. En un mot comme en dix, la responsabilité de la dégénérescence des mœurs et des valeurs incombe au colonialisme. D’où les larges circonstances atténuantes que certains cas appellent, à mon sens, et qui me paraissent devoir bénéficier d’une attention particulière.Image may be NSFW.
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Je débutai un long préambule, avant les plaidoiries, en mettant en exergue donc le caractère colonial des causes des défaillances des algériens vis-à-vis de la révolution : « vous savez que la France est une puissance militaire. Elle dispose des procédés et moyens militaires pour non seulement réduire à la pacification mais aussi a l'extermination de pauvres citoyens civils, sans défense. Les acteurs de cette guerre coloniale ne lésinent sur aucun moyen pour obtenir des informations sur les hommes de l’ALN. Ils abusent aussi de la naïveté et de la crédulité des pauvres citoyens... ».
Je fus vite interrompu par un de mes compagnons du groupe en ces termes : « Je vois que tu fais tout pour sauver cette femme. Je te jure qu’elle passera, quelque soient les arguments que tu peux nous fournir pour la sauver de la mort! »
- - Bien sur que je veux la sauver. C’est mon rôle, puisque je suis désigné pour assumer ce rôle, en toute impartialité.
- - Je te dis qu’elle doit passer.
La mise en cause est sommée de répondre aux chefs d’accusation suivants : - « Pourquoi te livres-tu à la prostitution avec les soldats français? Pourquoi leur fournis-tu des renseignements sur les moudjahidines ? ».
- - Je ne donne pas de renseignements aux français, mais je reconnais pratiquer "assefsedh", la débauche avec les soldats. Je ne suis pas la seule femme à m'adonner à cette pratique. ajouta-elle comme pour susciter une clémence.
Mais la réponse de la femme fut perçue, plus comme une banalité, qu’une nouvelle révélation pour perturber les maquisards endurcis par la violence de la guerre.
Soudain, en deux temps trois mouvements, la jeune femme fut culbutée violemment et étalée sur le sol de ce qui reste de cette casemate tapissée de cailloux.
Allongée de tout son long à la renverse, elle eut cette réplique des plus étranges à l’adresse de son « bourreau » :
- prends mon foulard, couvre-toi s’en la main pour éviter les souillures de mon sang qui risque de t’éclabousser.
Comme réponse à cette réplique audacieuse de la femme, la lame scintillante du glaive, solidement empoigné par la main de fer du maquisard s'enfonça dans la chair tendre du cou de la jeune fille. Elle n’eut le temps d’émettre un son que le sang gicla de la carotide, comme un jet d'eau provenant d'un tuyau d'arrosage sous pression projetant alentour son flot de liquide pourpre. cette situation mit les hommes du maquis dans un état fébrile mais ne provoqua aucune hésitation dans leurs gestes et mouvements énergiques.
Quelques secondes ont fini de vider ce corps de sa couleur pourpre. Elle mourut sans savoir lequel des griefs étaient retenus contre elle : la débauche ou la collaboration avec l’ennemi, car pour les artisans de la révolution, était-il utile d’en faire un distinguo, dés lors que la pacification contre laquelle s’est insurgé le peuple, pouvait avoir plusieurs visages.
Le silence de la mort planait sur la silhouette à peine visible du corps sans vie de la jeune femme et l’obscurité de la nuit enveloppa brusquement le relief escarpé de la Kabylie des quinquegentiens. Les hommes disparaissent comme par enchantement dans l’oubli eternel, peut être que demain, au lever du jour, les chacals très nombreux dans cette région sauvage, auront sans doute déjà dénaturé les formes gracieuses de cette fragile et naïve créature humaine.