France-Algerie :1954-1962
La Kabylie et le 6° BCA s’en souviennent
Par
Abdenour Si Hadj
Michel Rocard était parmi les premiers hommes à le savoir, à l’écrire. Les enfants, les femmes et les vieillards algériens ont souffert le martyr. Dans des camps de concentration. Sans nourriture, sans soins.
Mais d’autres comme Roger CONROUX, l’ont dit aussi. Je leur suis reconnaissant, moi fils de fellagha, victime non pas « d’un groupe terroriste », mais bien d’une organisation étatique militaro politique, violente, inique, …colonialiste. Nous avons cité Rocard, nous ne lasserons pas de citer CONROUX, mais nous ne devons jamais passer sous silence cet autre homme d’une discrétion exemplaire et d’un humanisme immense qui est Jean BOULANGER. Son livre « Cette guerre n’est pas la mienne » paru aux éditions les écrivains, puis sous le titre « la guerre vécue par un chasseur alpin » aux éditions publibook, est à ce titre un témoignage très édifiant.
D’autres encore, la liste très longue, fort heureusement, dont le cœur et l’esprit dans des moments où le choix n’était volontaire, ont triomphé sur l’instinct bestial.
De simples soldats, des gradés de tout niveau, mais aussi des hommes politiques, à contrario, ont excellé dans la barbarie. Je ne citerai que ce lieutenant Pelardi , de ceux que cette armée désignait par ces trois lettres anodines FSE et M.AIT M, faisant partie de ceux –là qui , pour la France coloniale ne pouvaient être confondus avec les métropolitains et qu’il fallait nommer FSNA.
De Gaulle l’avait-il compris, ou bien faisait il partie de ceux, pour qui tous les algériens étaient à réduire à défaut de pouvoir les réduire, Sinon que signifierait sa phrase restée lapidaire « je vous ai compris ! »
Comme meilleur message, je me permets de reproduire un paragraphe de Roger CONROUX extrait de son ouvrage « la Kabylie des chasseurs alpins – terre de nos souffrances – édition des écrivains -2001 - intitulé : « Conscience perdue »
Ecoutons le :
« L’utilisation d la force et de la violence, toutes ces actions menées tambour battant, que fallait il en retenir ? Tout conflit compte une part de folie. Les hommes se laissent aller à perpétrer des actes incontrôlés, dont souvent la bêtise frisait l’impensable et cela même avant que quiconque ait pu les ramener à la raison. Leurs gestes et leurs paroles auront commis l’irréparable, dont l’absurdité n’engendrera que la déception.
Modelés par tant de souffrances répétées, les plus inébranlables laissaient entrevoir quelques faiblesses. Parmi tous ces éléments nuisibles, leurs carapaces se fissuraient et sans aide il serait bien difficile de reprendre la direction du droit chemin. Des repères sains, des appuis solides étaient indispensables pour revenir sur la voie de la bonne conduite. Chacun portait sa part de responsabilité, mais à quel degré de l’échelle ?
L’être humain qui perd sa capacité à réfléchir, à penser se met hors circuit et dans ce bourbier, c’était le lot de certains. Les accrochages et les investigations dans les villages donnaient parfois lieu à des comportements étranges, somme toute isolés, mais effectifs et se retrouver entre leurs mains signifiait la plupart du temps humiliations et souffrances.
J’ai encore en mémoire les interrogatoires menés par ces hommes là. Chez eux l’excitation avait atteint des proportions insoupçonnées et leurs paroles atteignaient l’inacceptable. Certaines sont gravées dans ma mémoire. C’était l’humiliation, la destruction de l’adversaire au plus profond de lui-même. Paroles et gestes n’étaient qu’injures et brutalités. Le prisonnier n’avait plus rien d’humain, lorsqu’il se trouvait entre leurs pattes, personne ne méritait pareil traitement. Et les tortionnaires semblaient se régaler. Ces pratiques me révoltaient et ces manières barbares détruisaient autant les bourreaux que tes torturés. A ce jeu, il n y aurait jamais de vainqueur, c’était l’affrontement entre l’absurdité du comportement du bourreau et l’idéal défendu par le torturé. Les individus se défiaient dans des duels inutiles et meurtriers et dans tous les cas préjudiciables à l’humanité.
Le vainqueur s’acharnait sur le vaincu, il fallait le supplicier, le détruire. La guerre, semble t-il, leur octroyait tous les droits. De retour d’opérations, après un léger accrochage avec le FLN, certains s’en étaient donnés à cœur joie. Alors que la discipline, quelque peu relâchée, leur avait fait croire qu’ils pouvaient se laisser aller à commettre des exactions. Ils avaient fait main basse sur toutes les provisions du village, renversant les étalages. Conscients que cette nourriture, servait à ravitailler les maquisards, ils avaient mis encore plus de hargne dans leur saccage, éventrant d’énormes potiches en terre cuite qui servaient à stocker figues, olives, huile. Fruits d’une période de dur labeur, ces réserves permettaient sans doute à toute une population montagnarde de subsister pendant la mauvaise saison qui n’en finissait pas de durer.
Ces actes gratuits m’affectaient toujours aussi profondément et je faisais tout ce qui était en mon pouvoir afin d’éviter ce relâchement des consciences qui transformait l’homme en bête malfaisante. » P227/228
Abdenour Si Hadj, auteur algérien d’origine Kabyle, paradoxalement, situé de l’autre coté de la barrière nous confirme cet état des faits :
« Ce genre d‘actes barbares n’est pas un fait isolé, puisque il est érigé en système pour acculer , affamer les maquisards , selon les stratèges militaires français, alors qu’il frappaient au cœur de la masse , de la population entière . Une population déjà fortement éprouvée par la misère, les maladies.
En lisant Conroux, Comme Rocard et bien d’autres hommes, il me revient à l’esprit ce traumatisme de façon récurrente, que j'ai subi, dans des circonstances identiques et que j’ai relaté dans mon livre « les troupes du colonel Amirouche « en cours d’édition.
« J’avais 9 ans ; à iferhounene sous occupation de la 6°BCA- compagnie commandée par les capitaines Favier et Wolf,… les adultes étaient isolés des enfants … les femmes maltraitées, la chienne du capitaine était mise à contribution. Toute la journée nous étions parqués dehors, attendant que nos parents, vieillards, femmes soient relâchés. Les hommes valides ont tous été tués ou ayant rejoint le maquis. La mort, pour nous ne résultait pas à nos yeux d’un accrochage. On pouvait souvent mourir sous la torture ou encore chose horrible, innommable par la corvée de bois, tristement célèbre pratique, barbare, aux mains de jeunes soldats français souvent innocents. pendant les commanditaires s’évadaient dans des rêves artificiels procurés par le whisky et autres boissons enivrantes.
Oui ! Ce jour quand ma pauvre mère après une journée, privée de nourriture, matraquée par un harkis, en présence du lieutenant, elle a eu les dents casses, et un traumatisme crânien, …. Il lui restait la voix et le courage pour me dire « vas y Fiston à la maison. Tu trouveras quelques œufs dans le trou du mur. Je sais que tu te débrouilleras pour les faire cuir. Vas ! Fissa ! » Ce que je fis. Mais, arrivé à la maison « ouest » en kabyle akhem agharvi, dont la porte d’entrée, fait face à l’ouest cardinal. En plongeant ma petite main dans le trou du mur, je n’ai rencontrée que le vide et le froid, de ces murs construits en pierre plate, en argile. En promenant mon triste regard sur les murs noircis par la fumée du Kanoun kabyle, mes yeux tombèrent sur les impacts d’oeufs fraîchement brisés contre le mur. Il ne restait plus rien à se mettre sous la dent, pour cette fin de journée trop mouvementée à mon esprit d’enfant. Enfant de 9 ans, non moins fils, doublé de frère de fellagha, de surcroît tous deux tués par les ordres de ces capitaines, lieutenant Pelardi associés à ces harkis, dans cette salle besogne.
On m’en voulait donc à mort et qu’à ce triste prix doit doit être arraché. Il ne fallait rien attendre de bien de ces colonisateurs.
Leur action était en fait dirigée contre le peuple algérien ; hommes, femmes, enfants, vieillards tous confondus. Pour la France coloniale, la population algérienne dans son intégralité, doit être affamée, spolié, castrée, pour le grand bien des FSE » de la métropole.