Kerrouche le 10 Mars 1962 : ratissage et accrochages
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Ratissage a Kerrouche, le 10 Mars 1962
Oussaci Mohand Ouidir
En ce jour du 10 mars 1962, alors que nous étions , mes camarades et moi au village Koukou, nous reçûmes un message par liaison venant de Djemaa Saharidj de la part de Si Larbi chef de région pour nous annoncer qu'un vaste ratissage était sur le point d’être lancé dans toute la partie nord de la Haute Kabylie, vers Ait Antar, Ibelkissen, Ait Saci, Kerrouche et le tout le flanc nord du mamelon allant de Ait Hichem, a Michelet en passant par Tiferdoud jusqu’aux confins de Tizi Guefres.
Le message disait «Demain, un grand ratissage des troupes française aura lieu sur l'ensemble du secteur 4 de la wilaya. Il doit couvrir toute la commune mixte du Djurdjura dans les contrées d’iferhounene, et Kerrouche».
La question qui nous vint immédiatement à l'esprit : qui doit se porter volontaire pour aller avertir nos frères de combats dans tous les maquis concernés par cette opération?
Sans hésiter je me suis proposé de remplir cette mission, sans penser aux dangers qui pouvaient m'attendre sur le chemin. Si Arezki, chef région répliqua à ma proposition:
- tu n’iras pas !
- - Je dois y aller!rétorquai-je
- -Vas-y, puisque tu y tiens!
Sitôt dit sitôt fait. Je descendis de Koukou en prenant la direction d’Ighil Igoulmimen, plus précisément dans le village d’Idouthen, ou je devais profiter pour voir ma mère. Le village idouthen est ainsi appelé , LA PRISON, car c'est la que toutes les familles de maquisards et de mousseblines ont été parquées pour les isoler de leurs hommes que l’on désignait par le terme de fellaghas et pour mieux contrôler ces populations dans le cas ou elles seraient tentées d'apporter leur aide et assistance aux fellaghas.
J’entrai dans ce petit village cerné de fils de barbelés, j'ai pu voir ma mère le temps d’échanger quelques mots, elle me pressa de quitter au plus vite l’endroit, car m'avait-elle confié, Les français opéraient une stricte surveillance sur chaque membre des familles stationnées dans ce camp de concentration. Ils pouvaient donc me découvrir, m'avait-elle fait remarquer, ce qui risquait de déclencher des représailles impitoyables sur eux.
J’ai alors repris mon chemin en direction de Kerrouche ou je rencontre Si Mokrane, Si Madani et Bouzitoune au refuge du village. Apres un salut fraternel, je leur annonçai qu’un ratissage était en train d’être monté pour le lendemain dans toute la région. Peu apres, nous décidâmes de sortir du village tout ensemble en empruntant le chemin qui traverse la fontaine pour aller nous fondre dans la forêt de Kerrouche aux milles et une végétation. Arrivés au dessus de la forêt, Si Madani eut cette réflexion pour le moins insolite : « nous l’avions échappé belle. N'aviez-vous pas senti que nous avions été remarqués lors de notre passage devant la Fontaine du village? Nous avions sans aucun doute passé au travers d’une embuscade tendue par les soldats français. Dieu merci que cela s'est terminé sans grabuges".
Je répondis a Si Madani en ces termes : « Alors, attendez-vous pour demain a notre extermination»
Nous voila, maintenant parvenus a contrebas de la forêt de Tizi Guefres ou nous nous sommes dissimulés dans la végétation dense et touffue.
Aux premières lueurs blafardes du matin, nous remarquâmes un insolite branle bas de combat des soldats français qui avaient déjà envahi toutes les positions qui nous surplombaient. De la cachette ou je me suis terré, je pouvais tout entendre des discussions des soldats ennemis. Ils échangeaient des propos à haute voix, sans se douter de notre présence dans les parages. Et comme s’ils venaient de se réveiller d’un long sommeil, une voix très proche retentit dans atmosphérique printanière parvint a mes oreilles comme si l'émetteur était a peine a une vingtaine de mètres et qui disait:
- «Bonjour mon lieutenant!»
-Bonjour! Reprit le présumé lieutenant. Qui ajouta : «Allons! Première section, en formation de combat, deuxième et troisième section!"
La deuxième section s'avança sur nous sans s'apercevoir de notre présence. Je me suis retrouvé au bout de quelques minutes nez à nez avec le premier soldat de la deuxième section. Un soldat portant une veste et une casquette de parachutiste, un pantalon combat et armé d’une mitraillette. Il était à peine à six mètres de moi environ.
J'avertis à voix chuchotant mes compagnons de combat de mon intention de faire feu :
- « je dois tirer !»
- Non! Me répliqua Si Madani qui était tout prés de moi.
- Je dois tirer, je n'ai pas le choix! Enrageai-je silencieusement.
Je tire, le soldat s’affaissa devant moi de tout son long, en poussant un cri de douleur strident. A ce moment je tente de le désarmer mais Mokrane m'en dissuada :
- «Attention a toi! Ils vont te faire la peau».
Trop tard, en me retournant pour voir le visage de mon ami et quelle expression pouvait-il me communiquer, je fus touché par plusieurs balles au ventre. Mes efforts pour délester le soldat français de sa mitraillette furent vains car, chose imprévue, son arme était attachée à son ceinturon et j'étais dans l'impossibilité de la détacher.
La débâcle qui s’en était suivie a provoqué une panique au sein des deux sections qui se faisaient face, et qui commencèrent de se canarder à coups de rafales nourries. La végétation est tellement dense, touffue et géante a rendu la visibilité nulle, et a entravé les mouvements et déplacements des soldats. Ce qui était a notre avantage malgré la supériorité en nombre et en armes de notre ennemi.
Une voix retentit a ce moment précis pour donner l’ordre aux unîtes de se replier.
Profitant du moment d'accalmie, Mokrane, après une tentative de semer les poursuivants, est revenu sur ses pas pour me secourir, me sachant déjà atteint de plusieurs projectiles. Je lui intimais de filer et de me laisser tout seul à l’ endroit ou je m’étais camouflé en attendant de voir mieux.
Nous nous sommes repliés vers l’oued. Et continuions d'être pressés de toutes parts. Nous primes la décision ultime de nous disperser, je fus abandonné provisoirement sur ma sollicitation, sur les lieux, vu handicap de ma blessure et les risques que cela comportait d’être trimbalé sur leurs dos par mes compagnons. C'était en fait la solution idoine pour éviter de tomber dans un carnage.
De mon refuge j'entendis un soldat crier, comme pour avertir du danger que je représentais pour un soldat qui avançait droit sur moi sans se rendre compte: «Attention! Attention!
trop tard ce soldat, un malabar de plus de 8o kilos, devenu ma cible idéale grâce a l'avantage du terrain et de la position stratégique que j'occupais, s'exposa de tout son long aux balles de chevrotines de mon fusil de chasse. je tire a bout portant sur le soldat qui s'affaissa, le tronc, a la hauteur du cœur criblé. Un déluge de feu s'abattit sur ma position sans m'atteindre. il me paraissait aussi que les soldats avait réagi en tirant au jugé. Soudain une voix s’éleva de la brousse m'indiquant que les soldats allaient abandonner la poursuite "laisse tomber, il est sauvé le salaud!"
Ordre fut donné de se replier aux soldats français par leur chef, un silence assourdissant s'ensuivit pour faire place aux crépitements d'armes automatiques. Un silence que j'ai considéré d'abord comme anormal, insolite. Est ce une tactique ou le début d'un retrait du théâtre du ratissage?
Mais ce calme précaire et de courte durée ne fut qu'un leurre. En effet, ce silence assourdissant fait place aux vrombissements des avions, et c'est à un véritable ballet aérien auquel j'eus à assister au dessus de ma tête et qui me visait en premier. Deux T6 se succédaient à tour de rôle, larguant tantôt des bombes incendiaires, et mitraillant copieusement la forêt. Cela avait duré prés de 20 minutes, mais hormis la végétation qui brulait à certains endroits, ce défilement à ras motte de chasseurs bombardiers avec un vrombissement à crever les tampons n’eut à aucun moment à me décider à sortir de mon trou. Après cette infernale démonstration aérienne de bombardement et mitraillage, le silence de nouveau régna dans la nature. Je profitai de cette pause pour me déplacer malgré mes blessures et me dirigea vers Ait Ouatas, tantot rampant, tantôt dandinant tout en gardant l'œil sur tout ce qui m'entourait, jetant par intermittence un regard au ciel. Je sais maintenant que je suis harcelé par air et par terre, je dois mesurer tous mes mouvements, il y va de ma survie.
A la tombée de la nuit, je résolus à foncer sur Le village Ikhdhachen puis carrément sur Ait Ouatas, a la frontière du village Boumessaoud. Arrivé a contre bas du pont de Ait Ouatas, je glissai et tombai avec un bruit mat. Un convoi militaire venu du camp de la 1ere compagnie du 6 éme BCA de Agouni Adella passait a cet instant et en entendant le bruit insolite de ma chute, un soldat tira un coup de rafale de mitraillette au jugé, pensant sans doute qu'il s'agit d'un animal sauvage, du genre chacal ou belette, très présent dans la région, et qui, effrayé par le ronronnement des moteurs caractéristique des bahuts GMC, opéra un seul bond pour se terrer ensuite dans son trou. Le son grisonnant des engins s’éloigna, une voix surgit dans l’atmosphère provenant de cette formation de camions qui avance sur la route carrossable de façon synchronisée et a un rythme très lent, de loin de convoi serait pris pour un train composé de plusieurs wagons tellement les camions étaient placés a la que leu leu: "Laisse tomber! Ce n'est rien." dira cette voix aiguë mais rassurée.
après cet incident grave, je longe Agouni Adella en traversant Boumessaoud, tout en évitant bien sur le camp des chasseurs alpins, je parvins u village Iguer Lekrar ou je me terre dans une des caches de mes compagnons de combat Si Chérif et , un abri que connaissais très bien
Quand les frères Si Cherif et Si .... .furent de retour a leur abri, ils constatèrent que la porte d'entrée n'était pas totalement fermée, on pouvait facilement découvrir cette cache de dehors si les soldats coloniaux venaient à passer par la, Une chamaille s'engagea entre eux pour se rejetant la responsable l'un sur l'autre.
En entrant si Cherif me découvrit en chair et en os a l'interieur de l'abri. Il ne pouvait retenir son exclamation; " Il est la, Mohand Ouidir, il est vivant, Dieu merci!" l'incident était clos, ils avaient trouvé la clef de l’énigme : l'intrus, C’était bel et bien moi qui avait par inadvertance laisse la porte dans cet état. Blessé et affamé, je ne pouvais penser à tous les détails de ma sécurité et par ricocher a celle de mes hôtes.
On me nettoya les plaies et me soigna comme on peut. Fort heureusement, la disponibilité des médicaments a pu me sauver d'une mort certaine et peut être même après que j'aurais contacté la gangrené.
En fait, tout est bien qui finit bien, je me remis de ma blessure, mais je garde toujours une balle dans mon corps, 52 ans après ma blessure.