
Un amour dans la tourmente.
Aujourd’hui comme les derniers jours, nous avons volé à la journée quelques heures de bonheur passés ensemble. Rapprochés dans un coin du café restaurant que nous appelons abusivement « salon », nous nous sommes longuement regardés dans les yeux. Nous avons discutés de tout et surtout de la situation politique du pays. Nous avons redit avec d’autres mots et sous tous les tons nos angoisses et espoirs. Nous savons combien nous sommes attachés l’un à l’autre pour différentes raisons mais que le lien indéfectible est le pays.
Le long séjour en France pour cause de maladie du président Bouteflika occupe nos pensées et le plus clair de nos échanges. Nous avons, plusieurs fois, dit que l’absence prolongée du président, fragilise chaque jour le pays qui n’est plus gouverné et permet aux mercenaires de tous bords de le dépecer.
Comme nos compatriotes, nous avons été choqués par le simulacre de rencontre de travail du président avec les deux plus hauts représentants civil et militaire dans un hôpital militaire français. Nous savons depuis que la souveraineté de notre pays a été ébranlée.
Et puis, au fil de notre discussion que nous voulons toujours sérieuse comme pour justifier le bonheur d’être tout simplement ensemble, nous avons encore une fois abordé l’influence de la France et des Etats Unis dans le futur proche de l’Algérie. Notre attachement réciproque sincère et désintéressé nous permet de dire nos divergences de vues.
Pour lui, la première puissance au monde avec Obama à sa tête pourrait aider à la démocratisation de l’Algérie. Pour moi, seuls les démocrates algériens peuvent le faire. Pour lui, l’impérialisme américain a vécu avec l’ancien président des USA le républicain Georges Bush, pour moi, la politique étrangère du démocrate noir Obama n’est pas fondamentalement différente de celle de son prédécesseur. Adultes, nous savons que nos analyses prennent leurs sources dans des parcours politiques différents. J’essaye sans trop y parvenir de le convaincre que les Etats Unis, qu`il connait mieux que moi, ne peuvent pas être différents des autres puissances et que nous sommes contraints de les convaincre toutes que la démocratie en Algérie est aussi un apport précieux pour des relations internationales pacifiques et pérennes.
L’influence de la France dans notre pays et encore plus depuis l’hospitalisation du président à Val De Grace puis aux Invalides nous préoccupe tous les deux. Notre âge nous permet de revivre les dernières années de la colonisation française. Quand on en parle, les souvenirs douloureux voilent la belle couleur de tes yeux. Mon cœur se serre
Certes, la France tente de jouer sa partie dans l’après Bouteflika et ses relais à l’intérieur du pays sont nombreux et efficaces. il me rappelle immanquablement que la France est en crise, que son influence au Maghreb a décliné depuis la chute de Ben Ali et son interventionnisme en Libye. Je partage moyennement son analyse. Je crains que le nouveau partage du monde ne se fasse encore une fois à notre détriment que l’Algérie se retrouve dans l’escarcelle de la France.
Alors avant de nous quitter, je veux l’entendre sur ses projets de livres et de celui que l’on fera ensemble. Ce projet me remplit de joie. Ce travail nous déculpabilise et justifiera nos rencontres. Il me permettra de le voir plus souvent. Il me donnera l’occasion de rester seule avec lui.
Le soir approche. Nous devons nous quitter. J’ai une envie folle de frôler sa main. La seule idée qui m’obsède quand nous sommes séparés m’occupe déjà l’esprit. Est ce que je le reverrai demain ?
Nous analyserons les nouveaux événements graves que vit notre pays. Nous garderons le secret de cet amour dans la tourmente.