
L’exil interne
Dans la nuit du 9 juin, sa maman est morte. Il appréhende depuis longtemps cette nouvelle qui lui tord instantanément le coeur.
En route, pour l’enterrement, vers son village haut perché de Kabylie, il se remémore sa dernière visite à sa maman après une longue absence. Il se félicite de garder d’elle les vidéos dans lesquelles elle clame les poèmes du terroir qui racontent la guerre de libération qui lui a ravi son mari et son fils aîné. Des souvenirs le submergent.
Les routes défoncées, les pistes sans entretien le conduisent enfin au village. La maison familiale prise d’assaut par la nombreuse famille est remplie de bruits. Sa douleur déserte momentanément son esprit pour se concentrer sur les tâches concrètes qui entourent le mort.
Peu à peu, après l’enterrement et le repas, les amis et parents éloignés rejoignent leurs foyers. la maison familiale retrouve son calme. Dans la douceur de cette nuit de juin, Il rejoint le cercle des hommes de la famille.
Il les connaît tous et certains depuis leur naissance. Il sait tous leurs petits secrets et il mesure combien au fil du temps la plupart sont devenus des étrangers.
Prisonniers des traditions et croyances ancestrales, incapables de comprendre les évolutions du monde, Il comprend que ces hommes encore jeunes se retranchent derrière des certitudes invalidantes, insidieuses et obscurantistes inculquées par d’autres pour les maintenir sous leur joug. Il les écoute longuement. Il mesure les échecs de l’école et de l’université, l’ampleur de l’idéologie sectaire de l’ex parti unique. Il finit par exploser !
Alors, sans ambages, lui, l’écrivain, va leur dire les mots que personne ici n’ose prononcer. Leur vie sans joie, l’avenir de leurs enfants bouché, leurs frustrations leurs petitesses et roublardises...rien ne leur sera épargné ! il fulmine. Ils sont sans voix. Ils comprennent instinctivement qu’il n’est plus des leurs. Ils peuvent aller se coucher.
Depuis, il a quitté le village. Ils pensent constamment à eux. L’enterrement de sa mère va prolonger son exil.