Le Forum international pour la lutte contre la corruption, une ONG membre observateur auprès de l’ONU et de l’Union européenne, basée en Catalogne (Espagne), a déposé, mardi dernier, une plainte concernant des passations frauduleuses de marchés entre Sonatrach et B&R-C du temps où Chakib Khelil était ministre de l’Energie. Il s’agit notamment de passation de marchés de gré à gré, de sous-traitance douteuse au préjudice de Sonatrach ainsi que de surfacturation d’achats de l’ordre de 18 571 milliards de DA.
Le Forum s’appuie sur un rapport de l’Inspection générale des Finances, datant du 8 mai 2006, relatif à une mission de contrôle auprès de B&R-C, du MDN et de Sonatrach. Le numéro du rapport de l’IGF est inscrit sous le nom 66-RB. Le rapport révèle que B&R-C, filiale de Haliburton, a été au cœur des scandales Sonatrach, et ce, durant des années. Les combines et les escroqueries de la société Brown & Root Condor en Algérie sont invraisemblables.
Parce qu’elle avait un homme fort à sa tête, l’ancien vice-président américain Dick Cheney, de surcroît proche de Chakib Khelil, qui avait passé une bonne partie de sa jeunesse chez les majors pétroliers américains, la société B&R-C a arraché les plus importants projets, et ce, sans soumissionner comme l’exige la loi à des appels d’offres, s’adjugeant, du coup et illégalement, la plus grande part des marchés de Sonatrach, des ministères de la Défense et de l’Energie et des Mines ainsi que d’autres projets industriels et immobiliers.
Selon le rapport d’audit de l’IGF, l’élargissement de son champ d’investigations lui a permis de renforcer et d’appuyer les premières conclusions consignées dans le rapport d’étape précédent, notamment le recours excessif et injustifié à la procédure de gré-à-gré pour la passation de contrats de réalisation de projets avec la société mixte B&R-C.
De ce fait, « les services du ministère de la Défense ainsi que Sonatrach ont anormalement érigé en règle la procédure exceptionnelle de passation de marchés de gré-à-gré avec B&R-C. Le recours abusif à ce mode de passation constitue une violation des dispositions régissant la procédure de passation de marchés, que ce soit la réglementation des marchés applicable au M.D.N ou les procédures écrites internes mises en place par la SH».
Dick Cheney, un rouleau-compresseur qui a écrasé Sonatrach…
La carrière politique de Dick Cheney prend son essor en 1969 dans l’administration de Richard Nixon, à la Maison-Blanche. C’est sous la présidence de Gerald Ford que Cheney devient secrétaire général de la Présidence et rencontre un autre « faucon », avec qui il fera équipe durant de longues années, Donald Rumsfeld, alors secrétaire à la Défense.
Les deux hommes seront, pendant près de trente ans, les hommes les plus puissants et les plus belliqueux du monde, mais aussi les plus représentatifs du lobby de l’armement et du pétrole. Ils s’opposent ouvertement à la politique d’apaisement d’Henry Kissinger, jugée trop tendre à l’égard de l’Union soviétique.
De ses années au Congrès, on reproche à Cheney d’avoir refusé de voter en faveur d’un jour férié en l’honneur de la naissance de Martin Luther King, Jr. On lui reproche également d’avoir voté contre l’imposition de sanctions économiques contre l’Afrique du Sud et le régime d’apartheid et d’avoir qualifié Nelson Mandela et l’ANC de terroriste et d’organisation terroriste. Il s’est aussi illustré par la défense des intérêts pétroliers et du monde des affaires.
À partir de 1989, il devient le secrétaire à la défense du président George Bush père (1989-1992). En 1993, Cheney rejoint le think tank (cercle de réflexion) néo-conservateur American Enterprise Institute (Institut de l’Entreprise Américain) après la défaite de George Bush à l’élection présidentielle. De 1995 à 2000, il dirige la société d’ingénierie civile Haliburton spécialisée dans l’industrie pétrolière. Le fait que cette société ait décroché de gros contrats en Irak en 2003 lui est très fortement reproché. En 1997, avec Donald Rumsfeld et d’autres, il fonde le think tank néoconservateur PNAC (Project for the New American Century) – « Projet pour un nouveau siècle américain » – dont le but est de promouvoir le leadership global des États-Unis au XXIe siècle.
Ses liens avec l’industrie pétrolière lui sont reprochés et il est accusé d’être intervenu pour que Halliburton obtienne de gros contrats de fournitures aux armées et de reconstruction dans les pays dévastés par les guerres. En dépit des vérifications les plus sévères, un seul document existe dans ce sens. C’est en l’occurrence un courriel du Pentagone indiquant que « l’attribution d’un contrat de 7 milliards de dollars à une filiale d’Halliburton, sans appel d’offres, en mars 2003, a été approuvée à tous les niveaux, y compris le cabinet de Cheney ».
Le scandale par les chiffres
- - BRC a facturé à Sonatrach des logiciels à 357 millions de dinars sans qu’aucune facture d’achat existe dans le dossier.
- - BRC a assuré la formation du personnel d’une unité de déshydratation de gaz et s’est octroyé une marge de 368%
- - Pour la réalisation d’un parking-restaurant au profit de SH, BRC a sous-traité avec une entreprise libanaise et s’est octroyé 62 % de marge bénéficiaire.
- - Pour la réalisation du club pétrolier de Zéralda, un contrat de 124 millions de dinars, elle a sous-traité pour une valeur de 644 millions de dinars, soit un écart de 62 %.
- - Pour les besoins de la décoration d’une salle de conférences au niveau des deux tours, BRC a exigé 2.461.442, 20 euros.
- - Il a fallu à Sonatrach débourser 64. 500 euros pour une salle à manger comprenant deux fauteuils, quatre oreillers et un traversin.
- - Acquisition de cinq ensembles de canapés pour un montant total de 82 245, 00 euros.
- - Achat d’une salle de repos au prix total de 44 000, 00 euros.
L’IGF en fait un rapport inquiétant, la justice ne branche pas…
S’agissant des marchés de gré-à-gré, conclus par les services du ministère de la défense nationale avec B&R-C, il importe de souligner que l’usage unique de ce mode de passation est contraire à la réglementation des marchés publics qui leur est opposable.
En effet, les dispositions de l’ancien décret exécutif n° 91/434 du 09 novembre 1991 (Article 24), ainsi que celle du nouveau décret présidentiel n°02/205 du 24 juillet (Art.37) n’autorisent le recours à cette procédure que dans des cas exceptionnels très limités, ce qui n’est pas le cas pour les services du MDN. Ces décisions qui s’inspirent largement du code des marchés publics, font aussi du gré-à-gré une procédure tout à fait exceptionnelle, en fixant des conditions rigoureuses pour sa mise en application.
« Cependant, note l’IGF, monsieur le président directeur général de la S.H a émis des dérogations de gré-à-gré pour au moins 10 contrats passés avec la société mixte B&R-C. De plus, même lorsque la S.H lance un appel à la concurrence, B&R-C obtient des contrats dans des conditions jugées souvent contestables et non transparentes, c’est le cas par exemple du contrat de réalisation de la station de pompage de l’oléoduc GPL Hassi R’mel et le contrat d’études d’optimisation du réseau transport des hydrocarbures.
Cette pratique de généralisation de la procédure de gré-à-gré, s’est traduite par plusieurs dérives ayant occasionné un énorme préjudice financier, aussi bien au M.D.N qu’à la S.H et dont les principales peuvent être résumées comme suit :
RECOURS SYSTEMATIQUE A LA SOUS-TRAITANCE AU DETRIMENT DES INTERETS DU M.D.N ET DE LA SH (CLIENTS) :
Les contrats sont attribués par les services du M.D.N et S.H à la société B&R-C clefs en mains, laquelle les confient totalement en sous-traitance allant parfois au troisième degré, sauf pour la mission Engineering (Spécialité de B&R-C), qui est parfois sous traitée partiellement. Cette succession de sous-traitants voire d’intermédiaires est à l’origine d’importants surcoûts que subissent le M.D.N et la S.H.
Combien même la pratique de la sous-traitance ne doit pas être perçue comme un problème en soi, il n’en demeure pas moins que son usage a considérablement porté atteinte aux intérêts du M.D.N et de la S.H, du fait des surcoûts subis par ses deux clients.
SURCOUTS SUBIS PAR LES CLIENTS DE B&R-C :
Des surcoûts dans la réalisation des projets par B&R-C, sont à signaler. Ils sont dus notamment à des écarts de prix, parfois considérables entre les prix négociés avec ses sous-traitants et ceux qu’elle facture à ses deux clients (MDN et SH), ce qui lui permet d’engranger des marges substantielles même sur des prestations de moindre importance. Ce phénomène se présente dans une moindre proportion pour les services du M.D.N en raison du mode de détermination des prix arrêtés selon la méthode « coût + marge » (marge fixée au départ), alors que le mode forfait privilégié par la S.H, permet à B&R-C d’engranger des marges illimitées.
La prédation de l’Algérie par les multinationales a commencé depuis fort longtemps, mais c’est à partir de la nomination de Chakib Khelil qu’elle a connu des pics inquiétants. Quelle fut alors la part de la complicité de Khelil dans cette escroquerie commise par les Américains en Algérie durant une bonne partie des années 2000 ?
Fayçal Oukaci